28 février 2013

Le Paradis, entre enfer et purgatoire.


Réédition de Heavens’s Gate (La Porte du Paradis), de Michael Cimino (1980).

            Il y a des films, réputés maudits, que la cinéphilie élève, parfois à tort, d’autres fois à raison, au rang de saints et de martyrs, au nom de la liberté sacrée de l’artiste et contre la tyrannie des producteurs et des financiers. Heaven’s Gate est, à l’évidence, de ceux-là, qui défraya la chronique au tournant des années 70 et 80. On se souvient peut-être des péripéties d’une saga à l’échelle hollywoodienne : un tournage traînant en longueur, un budget initial dépassé dans des proportions gigantesques, une sortie catastrophique tant du point de vue public que critique, le film (d’une durée initiale de 219 minutes) retiré de l’affiche après une semaine d’exploitation, remonté et ramené par le cinéaste lui-même à 151 minutes, puis de nouveau présenté à la presse et au public  --  sans plus de succès que la première fois. Le tout débouchant sur l’une de ces crises de confiance qui secouent périodiquement l’industrie cinématographique américaine et liée cette fois aux insurmontables difficultés de trésorerie des Artistes Associés que le film entraîna dans sa chute.

26 février 2013

Film noir et drame passionnel.


Réédition de The Dark Corner (L’Impasse tragique), de Henry Hathaway (1946).

            Un peu à la façon d’un William Wellman et de quelques autres, Henry Hathaway (1898-1985) a toujours été considéré comme un cinéaste de second rang, homme à tout faire d’un studio (la Paramount d’abord puis la Fox dans les années 40 et 50), passant sans barguigner d’un western à un film noir (deux genres auxquels il a beaucoup sacrifié, et souvent avec bonheur) ou d’une aventure exotique (Les Trois Lanciers du Bengale/Lives of a Bengal Lancer, 1935) à une élégie romantique qui enchantait André Breton et les surréalistes (Peter Ibbetson, 1935). Il n’a guère bénéficié de l’attention de la cinéphilie française des années 50 (contrairement à un Hitchcock, un Hawks ou un Ford), et il est exact qu’en dépit des efforts méritoires d’un Bertrand Tavernier[1], le train de la renommée l’a laissé sur le quai. Les soixante-quatre films qu’il a réalisés entre 1932 et 1974 ne comptent assurément pas que des chefs d’œuvre, très loin de là : il acceptait tout ce qu’on lui proposait à la façon, comme l’écrit joliment Tavernier, « d’un mécanicien à qui l’on confie des pièces séparées et qui tente de les assembler »[2], s’efforçant toujours d’améliorer le matériau d’origine par des trouvailles ou des expérimentations. Citons (un peu arbitrairement) deux films qui illustrent bien sa manière : From Hell to Texas (La Fureur des hommes, 1958[3]) pour le western et, pour le film noir, Kiss of Death (Le Carrefour de la mort, 1947). Sans négliger, dans le même genre mais dans une approche plus hybride, The Dark Corner (L’Impasse tragique, 1946), que le Studio Action de la rue Christine réédite aujourd’hui dans une belle copie neuve.

24 février 2013

La voie du père.


Antiviral, de Brandon Cronenberg (2012).

            Il n’est pas toujours facile d’être le fils de son père  --  surtout au cinéma. Aussi, à voir aujourd’hui Antiviral, le premier long métrage de Brandon Cronenberg (né en 1980), comment ne pas se souvenir du David Cronenberg première manière dont l’ombre tutélaire plane indiscutablement sur ce coup d’essai, plutôt intéressant au demeurant.

23 février 2013

Du bluff et de l'authentique.


Gangster Squad, de Reuben Fleischer (2012)
Réédition de Miller’s Crossing, des frères Coen (1990).

            Reuben Fleischer est un habile fabricant, à la technique indiscutablement très sûre, capable de passer sans transition ou presque d’une parodie de film gore agrémentée de force références cinéphiliques (Zombieland/Bienvenue à Zombieland, 2009) à un film d’aventures policières à l’humour potache et dont il n’y a pas grand-chose à dire (30 Minutes or less/30 minutes maximum, 2011) jusqu’à cette reconstitution minutieuse de l’univers des gangsters américains de l’après-guerre qu’est aujourd’hui Gangster Squad.

20 février 2013

Un combat de monstres sacrés.


Réédition de Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who’s Afraid of Virginia Woolf ?), de Mike Nichols (1966).

            Avec Tennessee Williams et Arthur Miller, bien que dans une moindre mesure, Edward Albee reste un des auteurs dramatiques américains les plus fameux des décennies de l’immédiat après-guerre, et « Qui a peur de Virginia Woolf ? »[1] assurément sa pièce la plus connue. Pour ses débuts cinématographiques en 1966, Mike Nichols, célèbre metteur en scène de Broadway, l’adapta à l’écran (avec la complicité du scénariste Ernest Lehman[2]), avant de passer à des projets plus originaux (Le Lauréat/The Graduate, 1967, ou Ce plaisir qu’on dit charnel/Carnal Knowledge, 1971), voire très casse-gueule (son adaptation du roman de Joseph Heller, Catch 22, 1970, par exemple). C’était aussi l’époque où le couple Burton-Taylor défrayait la chronique qu’on n’appelait pas encore people et leurs frasques intimes trouvaient une sorte d’écho dans certaines de leurs prestations, véritable combat de monstres sacrés (comme ici ou dans La Mégère apprivoisée/The Taming of the Shrew, Franci Zeffirelli, 1967)  --  assurées du même coup d’une juteuse rentabilité commerciale. Quant à Nichols lui-même, il a mené jusqu’aujourd’hui une carrière cinématographique sans vrai grand relief, mais point déshonorante cependant et qui mérite mieux que l’opprobre dans lequel une bonne partie de la critique française l’a longtemps tenue.

18 février 2013

Un lourd prêchi-prêcha moralisateur.


Flight, de Robert Zemeckis (2012).

            Contrairement à certains de ses petits camarades de ce cinéma américain qui fut baptisé « Nouvel Hollywood » à la charnière des années 70 et 80, Robert Zemeckis n’a pas voulu (ou pu) bâtir une œuvre cohérente, préférant s’en tenir à une production hétéroclite (ce n’est pas un défaut, tant s’en faut) qui lui a valu quelques grands succès commerciaux, de la saga Retour vers le futur (Back to Future, 1985, et ses deux suites en 1989 et 1990) à Forrest Gump (1994) en passant par Qui veut la peau de Roger Rabbit (Who Framed Roger Rabbit, 1988). Une vingtaine d’années en demi-teinte ont suivi Forrest Gump (il est parfois difficile de se remettre d’un triomphe) jusqu’à Flight aujourd’hui, dernier avatar d’une filmographie protéiforme où opportunisme et roublardise auront surtout tenu lieu de talent à un cinéaste plutôt médiocre dans l’ensemble.

15 février 2013

Une éblouissante leçon de cinéma.


Passion, de Brian De Palma (2012).

            Il est curieux, révélateur et singulièrement stimulant de voir à quelques jours d’intervalle seulement le biopic de Sacha Gervasi, Hitchcock , film rien moins que médiocre où l’immense cinéaste que l’on sait n’est là qu’à titre purement anecdotique, et le remake de Crime d’amour, d’Alain Corneau (2010), que propose Brian De Palma, cinéaste qui, lui, a parfaitement su intégrer une forte influence hitchcockienne à l’univers qui est le sien et que l’on retrouve ici intact. Contrairement à ce qu’on lui reprocha jadis, c'est-à-dire de n’être rien d’autre qu’un vulgaire clone d’Hitchcock, il ne s’est jamais agi pour lui de plagier platement le réalisateur de Vertigo (Sueurs froides, 1958) et de Psycho (Psychose, 1960) mais au contraire de comprendre, d’intégrer et finalement de dissoudre la leçon du maître à l’intérieur d’une thématique et d’une forme l’une et l’autre originales et difficilement réductibles à un simple exercice d’imitation, sinon d’admiration. Passion n’échappe pas à la règle, où De Palma, en dépit de son exil européen (le film est une coproduction franco-allemande), revient avec panache et non sans une certaine insolence un peu bravache sur ses vieux démons, ceux qu’illustrèrent ses grands films des années 70  --  voyeurisme, gémellité, érotisme inquiétant, fragmentation du regard et de l’esprit, mise en abyme.

13 février 2013

Le regard du maître.


Hitchcock, de Sacha Gervasi (2012).

            Comme on n’attendait a prori pas grand-chose de ce biopic à première vue assez peu séduisant, la surprise n’est pas trop mauvaise à l’arrivée. Non qu’il s’agisse pour autant d’un bon film, n’exagérons rien, mais tous ceux qui apprécient le cinéma d’Alfred Hitchcock, un des cinéastes majeurs du XXème siècle tout de même, et singulièrement Psychose (Psycho, 1960), y prendront, je dirais presque par la force des choses, un plaisir certain.

10 février 2013

Comme un ultime coup de révolver.


Shadow Dancer, de James Marsh (2012).

            Tout à la fois documentariste et réalisateur de films de fiction, James Marsh revient sur ce que l’on appelle communément au Royaume-Uni les « troubles »  --  c'est-à-dire le conflit en Irlande du Nord, aux enjeux sociaux et politiques autant (sinon plus) que religieux. Il le fait d’un point de vue qu’il veut historique (après un rapide prologue en 1973, l’action se situe en 1993 entre Londres et Belfast) mais aussi moral, autour du thème de l’engagement, du double-jeu et de la trahison.

8 février 2013

Dans les "terres de sang".


Dans la brume (V Tumane), de Sergei Loznitsa (2012).

            Documentariste à l’origine, Sergei Loznitsa n’est passé que tout récemment à la fiction, d’abord avec My Joy en 2009 et aujourd’hui avec Dans la brume, adaptation d’un roman de l’écrivain biélorusse (mort en 2003) Vassil Bykov. Il a été les deux fois sélectionné au festival de Cannes  --  ce qui peut être une bonne et une mauvaise chose. Bonne dans la mesure où il s’agit là d’un formidable tremplin pour des cinéastes relativement peu connus et pratiquant un cinéma exigeant voire difficile ; mais mauvaise tant il est vrai que la tentation est grande pour les réalisateurs ainsi distingués de se couler avec une délectation narcissique dans le moule d’un cinéma d’auteur préfabriqué qui peut facilement tourner à la caricature. Et disons-le : Loznitsa, aussi brillant soit-il, n’échappe pas tout à fait à ce danger.

6 février 2013

Une comédie romantique filmée comme un match de boxe.


Happiness Therapy (Silver Linings Playbook), de David O. Russell (2012).

            De David O. Russell, on avait particulièrement remarqué Les Rois du désert (Three Kings, 1999), satire corrosive de la guerre du Golfe et de l’arrogance d’une Amérique belliqueuse, et Fighter (2010), un film sur la boxe, cette fois dans l’Amérique meurtrie des pauvres Blancs  --  deux œuvres curieusement décalées qui composaient à l’arrivée un intéressant diptyque sur l’Amérique contemporaine. Bien qu’il ait fait ses premières armes avec des comédies (Sparking the Money, 1994, et Flirter avec les embrouilles/Flirting with Disaster, 1996), on s’attendait d’autant moins à le voir revenir vers ce type de film que J’adore Huckabees (I Heart Huckabees, 2004) n’avait pas vraiment convaincu  --  et qu’au surplus le qualificatif de « romantique » paraissait aux antipodes d’un naturel plus volontiers rugueux. Mais, soyons juste, peut-on parler de comédie romantique à propos de Happiness Therapy ?

3 février 2013

Familier mais historique.


Lincoln, de Steven Spielberg (2012).

            A l’annonce de la réalisation par Steven Spielberg d’un film consacré à Lincoln, et connaissant son sens du spectacle, pour ne pas dire du spectaculaire, certains se sont sans doute attendus à une grande fresque épique, faisant une large part aux combats de la guerre de Sécession  --  bref, une sorte d’Autant en emporte le vent nordiste centré sur l’une des figures majeures de l’histoire des Etats-Unis. Ceux-là seront déçus. Rien de moins spectaculaire en effet que ce long huis-clos politique qui s’intéresse d’abord au fonctionnement des institutions, brosse ensuite un portrait intimiste de Lincoln mais rejette impitoyablement à l’arrière-plan, et même plutôt hors-champ, tout ce qui pourrait relever de l’héroïsme militaire.