25 avril 2013

"Vingt-quatre heures de la vie d'une femme".


Le Temps de l’aventure, de Jérôme Bonnell (2013).

            On pouvait craindre (et la bande annonce allait hélas dans ce sens) avec le dernier film de Jérôme Bonnell sinon le pire (le cinéaste a jusqu’ici fait preuve d’une tenue de bon aloi) du moins le récit très convenu d’une de ces  « brèves rencontres » impossible entre deux êtres que tout sépare, l’âge, l’éducation, l’origine géographique, les activités professionnelles, et qui pourtant vont vivre une rapide mais fulgurante passion amoureuse. Certes, Le Temps de l’aventure, c’est aussi cela, mais pas seulement, très loin de là, et Jérôme Bonnell s’attache tout autant, sinon plus, à l’analyse de la psychologie de ses personnages qu’aux seuls sentiments, pourtant très forts, qui les rapprochent. Il y a là quelque chose d’un Stefan Zweig, auteur dont on parle beaucoup ces temps-ci, explorateur exemplaire des angoisses de la psyché humaine confrontée à la confusion des sentiments. Ainsi, mutatis mutandis,  se trouve-t-on davantage du côté de « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme », la nouvelle de Zweig, que de Brève rencontre, le film de Lean.

            Soit donc Alix, une femme encore jeune (Emmanuelle Devos), pas très bien installée dans sa vie aussi bien sur le plan personnel que professionnel, qui rencontre dans le train entre Calais à Paris un homme plus âgé qu’elle (Gabriel Byrne). Juste un jeu de regards, quelques mots échangés, une demande de renseignement de la part de l’homme, un Anglais qui cherche une église dans Paris, et puis c’est tout, chaque existence reprenant son cours. Celui d’Alix, comédienne de son état, c’est de participer ce matin-là à des essais pour un rôle, de faire un saut dans l’appartement qu’elle partage avec son compagnon Antoine, de prendre rendez-vous avec sa mère pour déjeuner et puis de repartir pour Calais où elle joue le soir même au théâtre dans une pièce d’Ibsen. Rien que de banal en somme, rythmé par l’écoulement du temps, ponctué par des plans de pendules en tous genres, car le « temps » du titre, ce n’est pas seulement l’instant ou le moment mais aussi, et surtout, ce temps qui se compte et se décompte en heures et en minutes. Mécontente de l’essai qu’elle a fait, brusquement privée de carte bleue et de téléphone mobile, se heurtant à des murs qui la privent de toute communication (sa banquière indisponible ou le répondeur de son compagnon), elle sent sa vie lui échapper et part à l’aventure en tentant de retrouver l’homme du train.

            Il s’ensuit une liaison fugitive, mais Bonnell s’intéresse moins à la fusion des corps qu’aux interrogations qu’elle pose. Il n’y a rien de prémédité dans cette aventure amoureuse : l’une agit sur un coup de tête quand l’autre se laisse porter par les événements. Mais c’est justement cette suite de hasards (plus d’argent, plus de téléphone, une rencontre fortuite) qui met à jour la psychologie d’individus saisis à brûle-pourpoint et qui ne sont pas préparés à ce qui leur arrive. Ainsi Alix et Doug se retrouvent-ils face à eux-mêmes, face à l’inconnu, à l’angoisse, à de nouveaux choix possibles et au vertige pétri d’incertitude qui les accompagne. Le film se concentre principalement sur Alix, et Emmanuelle Devos porte un bonne partie de l’entreprise à bout de bras avec un superbe talent, tout en ne sacrifiant pas pour autant le personnage de Doug, plus secret et volontairement en retrait, qui comprend mal ce qui lui arrive et dont on saura peu de choses  --  mais d’autant plus poignant dans sa confrontation avec ce qui est peut-être une dernière aventure au seuil du vieillissement, et le jeu de Gabriel Byrne, très intériorisé, exprime bien cette mélancolie et cette peur face à une aventure qu’il maîtrise mal et qui peut remettre en cause une vie entière.

            Plutôt bien mené, mis en scène en longs plans sinueux, le film s’enlise certes un peu vers la fin, dans les rues d’un Paris envahi par la fête de la musique, avant de se ressaisir pour conclure sur un point d’interrogation quand Doug découvre l’adresse d’Alix sur une enveloppe qu’elle lui a laissée. Acte manqué ou volontaire, on ne sait, mais le temps de l’aventure n’est peut-être pas épuisé  --  des ouvertures restent toujours possibles.

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