20 mars 2013

Un cinéaste dans l'impasse.


A la merveille (To the Wonder), de Terrence Malick (2012).

Cinéaste rare et précieux (six films seulement en quarante ans), Terrence Malick semble avec l’âge (il est né en 1943) vouloir accélérer son rythme de production (son précédent film, The Tree of Life, ne date que de 2011) tout en radicalisant son cinéma, le situant désormais à la limite du poème visuel et de la quête expérimentale. On en arrive ainsi avec son dernier opus, To the Wonder, à devoir aborder son art en renonçant aux habituels critères tout en s’interrogeant sur la pertinence de son évolution : acmé prodigieuse ou impasse provisoire, voire définitive ?

Ceux qui suivent Terrence Malick depuis ses débuts en 1973 avec Badlands (La Balade sauvage) savent bien que le rapport de l’homme à la nature et aux forces telluriques est l’un des thèmes majeurs qui traversent son œuvre  --  peut-être même son thème essentiel. Palme d’or à Cannes en 2011, The Tree of Life en constituait en quelque sorte l’illustration extrême, à la fois réussite absolue et échec inévitable. Réussite absolue puisque le cinéaste, dans une entreprise d’une folle ambition, parvenait à planter au plus profond de la terre les racines de sa réflexion sur la place de l’homme dans l’univers tout en poussant au plus haut des cieux les plus belles branches de son « arbre de vie » ; mais aussi échec inévitable tant l’ambition même de son propos débouchait sur des recherches auxquelles le cinéma se prête mal, menant la logique de sa démarche jusqu’à, pouvait-on penser, son point ultime, réduisant ses acteurs à des silhouettes tout juste bonnes à figurer dans un coin du tableau dont ils ne sont plus le centre mais rien qu’un élément parmi d’autres. Cette volonté « totalisante » trouvait malgré tout sa logique et sa cohérence en même temps que ses limites, flirtant ici ou là avec la boursoufflure et le ridicule, mais parvenant en dépit de tout à  y échapper.

Parvenu au point de rupture d’une radicalité triomphante sinon triomphale, prisonnier de l’ampleur de son propos et de la profondeur de son ambition, que pouvait bien faire Malick ensuite, sinon chercher à remettre le couvert plutôt que de revenir en arrière, notamment vers un type de narration qu’on dira plus classique ? Cependant, que le cinéaste le veuille ou non, il y a bien retour en arrière, non point sur la forme, toujours maîtrisée, mais sur le fond. Comment en effet, après les hauteurs où il nous entraînait dans The Tree of Life,  s’intéresser à des personnages aussi inconsistants que ceux qu’il nous propose de suivre aujourd’hui, héros ectoplasmiques de ce qui se révèle être à l’arrivée ni plus ni moins qu’un drame de l’adultère bourgeois qui lorgnerait vers le Bergman ou l’Antonioni des mauvais jours  --  je caricature à peine. On est là en pleine régression d’inspiration et l’on n’évite pas  même les pires clichés lors des séquences parisiennes, véritable anthologie de tous les lieux communs dont un touriste américain en visite à Paris ne saurait faire l’économie. Le tout assaisonné d’un vague commentaire off aussi pompeux que soigneusement décalé  --  pour faire plus profond sans doute. Et ce n’est pas dans la partie américaine du film, en alternant de très belles images de nature, directement inspirées des tableaux d’Andrew Wyeth, avec de vagues, très vagues préoccupations écologiques autour de ce que l’on pense être une grave pollution du sol (on n’en saura pas plus), que Malick renouvelle ou amplifie sa réflexion sur l’homme et sa place dans un hypothétique « grand tout ». Aussi, peut-être conscient de sa propre impuissance à faire passer le message, le confie-t-il cette fois à un personnage de prêtre (Javier Bardem, aux silences lourds de sous-entendus) dont les interrogations métaphysiques sont censées apporter au récit les clés de sa signification.

Cet échec, dont on pouvait entrevoir les prémisses dans The Tree of Life, devient ici aussi absolu que la radicalité dont Malick semble vouloir faire désormais son ordinaire. Sans doute maîtrise-t-il de façon remarquable la technique, tant sur le plan de l’image et des mouvements d’appareil que du son, très travaillé, et l’on peut comprendre que Ben Affleck ait pu dire avoir davantage appris en travaillant sur ce film qu’au cours de tous les autres tournages auxquels il a pu participer. Mais espérons aussi que le peu de cas que Malick fait de ses acteurs incite, à l’inverse, l’excellent metteur en scène qu’il est à leur donner toujours leur juste place  --  et non à les réduire à l’état de pantins sans âme, à peine animés et volontairement inexpressifs. Cinéaste que nous avons tant aimé et admiré, Malick nous doit aujourd’hui une revanche, en commençant par quitter l’impasse dans laquelle il s’est fourvoyé.

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