29 juin 2012

La rédemption par le whisky.


La Part des anges (The Angels’ Share), de Ken Loach (2012).

            L’engagement politique de Ken Loach  à l’extrême-gauche n’est un secret pour personne  --  engagement qui lui a souvent valu (et lui vaut encore) l’hostilité d’une partie des médias britanniques. Il est vrai qu’en général il ne fait guère dans la nuance et qu’il a souvent la patte assez lourde, pratiquant un manichéisme pour le moins simplificateur assorti de discours indigestes. Rien de tel cette fois où il nous propose (pour reprendre un terme répandu par la presse mais qui ne me paraît pas vraiment adapté) une comédie  --   pas un grand film certes (Loach est-il seulement un grand cinéaste ?), mais une œuvre aimable et qui donne tout de même à espérer. Un de ces types de comédie comme les cinéastes italiens savaient si bien en faire dans les années 60 et 70, c'est-à-dire enracinée dans la réalité sociale, en sympathie avec les déshérités de la vie et d’un comique non exempt d’une certaine gravité.

26 juin 2012

Une histoire bien peu extraordinaire.


L’Ombre du mal (The Raven), de James McTeigue (2012).

            Il y a au départ du film une excellente idée : imaginer un maniaque (plus maniaque que serial killer, me semble-t-il) qui, dans le Baltimore de l’année 1849, tue ses victimes en s’inspirant des histoires écrites par Edgar Poe dont il est un admirateur forcené. Ainsi commence-t-il par copier le Double assassinat dans la rue Morgue avant de poursuivre avec Le Puits et le pendule puis de semer des indices qui sont autant de références à ses contes, du Masque de la Mort rouge à L’Enterrement prématuré en passant par La Barrique d’amontillado et quelques autres titres. Jusqu’au dénouement final censé expliquer la mort prétendument mystérieuse de l’écrivain.

24 juin 2012

"La fin d'une liaison".


The Deep Blue Sea, de Terence Davies (2011).

            Comme elle paraît venir de loin, cette voix qui nous arrive pour ainsi dire d’une autre vie  --  et l’on se surprend à voir dans le titre de son beau mais déjà ancien film Distant Voices, Still Lives (1988) l’annonce prémonitoire du long silence de Terence Davies  aujourd’hui heureusement rompu par ce splendide nouveau film, The Deep Blue Sea. Et de loin, à plus d’un titre : d’abord par l’absence prolongée d’un cinéaste rare et que l’on croyait perdu à jamais ; ensuite par le choix pour son retour d’un auteur de théâtre quelque peu démodé[1], Terence Rattigan (1911-1977), surtout célèbre pour sa pièce The Browning Version, adaptée au cinéma par Anthony Asquith avec le grand Michael Redgrave dans le rôle principal (L’Ombre d’un homme, 1951) ; par aussi la reconstitution minutieuse mais sans ostentation d’une époque lointaine (l’action se situe « autour de 1950 » avec de rapides évocations de la Seconde Guerre mondiale et du blitz) qui sans doute parle peu aux jeunes générations ; par enfin des choix de mise en scène d’une élégance presque d’un autre âge, bien loin de l’esthétique clinquante et du montage précipité d’une large part du cinéma actuel.

22 juin 2012

Toutes les forces de la vie et de la mort.


Faust, d’Alexandre Sokourov (2011).

            On n’aborde pas un film d’Alexandre Sokourov comme n’importe quelle autre production  --  fût-elle aussi ambitieuse et pleinement réussie. On entre là dans un domaine bien particulier, où les sens aussi bien que l’esprit sont violemment sollicités pour une sorte de voyage expérimental qui exige de ceux qui l’entreprennent une disponibilité totale. Lui qui fut l’élève d’Andréi Tarkovski à l’école de cinéma de Moscou, il sait bien que rien ne doit être donné mais que tout peut être mérité  --  d’où ce cinéma de la plus extrême exigence dont il paraît accoucher dans les plus grandes douleurs. Un cinéma assurément difficile, dont on  conçoit qu’il rebute et suscite même l’hostilité voire le rejet, et l’on peut comprendre sans peine que des spectateurs abandonnent ses films avant d’être arrivés à leur terme. Cette fois, bouclant la boucle de la tétralogie qu’il a consacrée au pouvoir et à ses dérives totalitaires, c’est au mythe de Faust qu’il s’attaque comme on s’attaque à une immense montagne.

21 juin 2012

"Le trésor au pied de l'arc-en-ciel".


Adieu Berthe (L’Enterrement de mémé), de Bruno Podalydès (2012).

            Il y a parfois dans la vie des moments qui prêtent à sourire, voire à rire, de façon décalée et apparemment incongrue. La mort en fait partie, avec son cortège de rites et de passages obligés, et aussi parce qu’on sait que le rire reste le meilleur antidote contre la mort. Les frères Podalydès l’ont parfaitement compris qui, dans Adieu Berthe (discret clin d’œil au cher Francis Blanche, qui savait si bien débusquer humour et poésie loufoque là où on ne les attendait pas), s’en donnent à cœur joie, si l’on ose dire. Et nous font mourir de rire (mais pas seulement), ce qui, pas ces temps tristounets, est toujours bon à prendre.

20 juin 2012

La douloureuse plainte d'un guépard blessé.


Réédition de Violence et passion (Gruppo di famiglia in un interno/Conversation Piece), de Luchino Visconti (1974).

            Quelques semaines seulement après Sandra , on nous propose une réédition de l’avant-dernier film de Luchino Visconti, Violence et passion  --  titre français médiocre qui ne correspond ni aux intentions du cinéaste ni au contenu du film. Lorsqu’il en commence le tournage, en avril 1974, Visconti se remet tout juste d’un accident vasculaire cérébral qui l’a  frappé un peu moins de deux ans auparavant, après Ludwig, le film-fleuve qu’il a consacré à Louis II de Bavière et qui l’a laissé épuisé. Paralysé du côté gauche, il est cependant parvenu à retrouver une partie de son autonomie, et c’est la plupart du temps sur ses deux jambes, au risque d’une chute toujours possible, qu’il parviendra à diriger le film. Violence et passion, autant par goût que par nécessité, marque son retour à une veine plus intime mais non moins riche après les vastes fresques qu’ont été Les Damnés (La Caduta degli dei, 1969) ou Ludwig.

18 juin 2012

Sincère mais superficiel.


Trishna, de Michael Winterbottom (2012).

            La carrière du britannique Michael Winterbottom ressemble un peu à celle de son compatriote Stephen Frears. L’un et l’autre sont des réalisateurs hyperactifs, travaillant aussi bien pour le cinéma que pour la télévision ; l’un et l’autre affichent aussi une production résolument hétéroclite et d’où toute unité semble avoir été volontairement bannie. La comparaison s’arrête cependant là : sans doute moins brouillon, maîtrisant à l’évidence mieux ses sujets, aussi divers soient-ils, Frears présente une filmographie d’une qualité impressionnante quand Winterbottom, peut-être plus enclin à prendre des risques en se lançant dans des aventures parfois aléatoires, aligne en revanche davantage d’échecs (ou, à tout le moins, de déceptions) que de réussites. Parmi celles-ci, citons le récent The Killer inside me (2010), excellente adaptation de l’excellent (et très noir) roman du grand Jim Thompson (Le Démon dans ma peau[1]). Et, plus lointainement, Jude (1996), transcription cinématographique du Jude l’Obscur de Thomas Hardy  --  auteur vers lequel il revient aujourd’hui en transposant son roman Tess d’Urberville dans l’Inde contemporaine.

17 juin 2012

Une Blanche Neige en armure.


Blanche Neige et le chasseur (Snow White and the Huntsman), de Rupert Sanders (2012).

            Quelques soixante-quinze ans après le dessin animé ultra célèbre des studios Disney (qui fut aussi, en 1937, leur premier film de long métrage), le mythe de Blanche Neige, appelons-le comme ça, connaît ces temps derniers un brusque renouveau avec pas moins de deux productions aux budgets pour le moins confortables et qui proposent des versions sérieusement révisées (mais pourquoi pas ?) du célèbre conte des frères Grimm. Après une adaptation que l’on dit à tendance kitsch[1] (je n’y suis pas allé voir, et certaines connaissances m’ont dit que j’avais bien fait), c’est donc  une variation du type heroic fantasy qui nous est aujourd’hui présentée (dixit la publicité) comme un film « du producteur d’Alice aux pays des merveilles », comprenez l’Américain Joe Roth (lui-même réalisateur de quelques films peu mémorables, sauf peut-être l’amusant Couple de stars/America’s Sweethearts, 2001). Comme le film de Tim Burton n’est pas de ses meilleurs, on pouvait donc à bon droit s’inquiéter. A tort, disons-le tout net.

15 juin 2012

Un pandémonium barbare et complaisant.


Dias de gracias, de Everardo Gout (2011).

            Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume du Mexique. La presse s’en fait certes fréquemment l’écho mais le cinéma mexicain, lui, enfonce le clou avec une délectation morbide. Police corrompue, guerre des gangs, prostitution triomphante, industrie du kidnapping et bien sûr, cerise sur le gâteau, drogue à tous les étages, rien ne manque à ce festival de noirceur absolue et de violence paroxystique où hommes et bêtes sont réduites à l’état d’objets dans un grand pandémonium barbare. Présenté hors-compétition au festival de Cannes 2011, Dias de gracias s’inscrit dans ce courant, y compris hélas sur le plan esthétique.

14 juin 2012

Depardon, portrait éclaté.


Journal de France, de Raymond Depardon et Claudine Nougaret (2012).

            Photojournaliste qui a parcouru le monde en tous sens pendant des dizaines d’années, membre de la très prestigieuse agence Magnum, mais aussi cinéaste documentariste, auteur notamment d’une remarquable trilogie consacrée au monde rural et intitulée Profils paysans[1], Raymond Depardon, soixante-dix ans dans quelques jours, revient aujourd’hui sur cinquante ans de vie professionnelle, et il le fait à sa manière, autant dire de façon originale, sous la forme d’un portrait éclaté ou d’une sorte de collage mêlant fragments de reportages et moments saisis ces dernières années, quand il a  décidé, à partir de 2004, de sillonner la France en la photographiant[2].

13 juin 2012

Plaisante partie de pêche.


Des saumons dans le désert (Salmon Fishing in the Yemen), de Lasse Hallström (2012).

            Il y a depuis longtemps dans le cinéma britannique, avec le risque de simplification que suppose ce type d’approche, deux voies bien distinctes, presque antagonistes. L’une qui se veut un cinéma du quotidien, réaliste, volontiers rugueux et peu aimable, héritier des « jeunes gens en colère » et du free cinema au tournant des années 50 et 60[1] et qui trouve peut-être son origine dans la grande école documentariste des années trente dont John Grierson fut le chef de file  --  je placerai dans cette catégorie, et en dépit de leurs différences, le cinéma de Mike Leigh ou de Ken Loach, bien sûr, mais aussi plus récemment Harry Brown, de Dominic Barber (2010), ou Tyrannausor , de Paddy Considine (2011), sans parler de tout un courant du film noir illustré notamment par Mike Hodges ; l’autre, situé à l’opposé, qui joue la carte d’un professionnalisme parfois à la limite de l’académisme, agréable et cosy en toutes circonstances, fort de cette british touch qui lui donne ici et là un parfum suranné. Des saumons dans le désert appartient d’évidence à la seconde catégorie, des films qui généralement ne bénéficient guère de l’indulgence de la critique, mais que l’on va voir un peu en fraude en se promettant cependant de délicieux plaisirs coupables.

11 juin 2012

Une famille pas comme les autres.


Une Education norvégienne (Sonner av Norge/Sons of Norway), de Jens Lien (2011).

            C’est en fait le nom de Nikolaj Frobenius, auteur du scénario et du roman semi-autobiographique dont il s’inspire (Teori og praksis, 2004, non traduit en français) qui a attiré mon attention plutôt, je dois l’avouer, que le film lui-même, diffusé à la sauvette sur quelques écrans seulement et d’un intérêt cinématographique limité. Scénariste (on lui doit le script d’Insomnia, la version norvégienne d’origine[1] et son remake réalisé par Christopher Nolan en 2002), Frobenius est surtout un excellent écrivain, auteur de romans particulièrement originaux dont quelques-uns ont été traduits en français[2]. Jens Lien, le réalisateur, s’est fait remarquer, lui, par un précédent film sorti il y a quelques années, Norway of Life (2006), qui bénéficie d’une certaine réputation et qui s’attaquait sur un mode fantastico-farfelu au caractère très lisse du mode de vie nordique.

10 juin 2012

Un bloc de bruit et de fureur.


Réédition de Mélodie pour un tueur (Fingers), de James Toback (1977).

            Curieuse destinée que celle de ce premier film de James Toback, réalisé en 1977 et sorti en France à la rentrée 1978 et qui a inspiré à Jacques Audiard le sujet de son excellent De battre mon cœur s’est arrêté (2005). Intellectuel new-yorkais né en 1944, professeur de littérature et de création littéraire (il est l’auteur d’une maîtrise de littérature comparée consacrée à Dostoïevski, Melville, Conrad et Balzac sur le thème « Romance with Disaster »), Toback s’est d’abord fait remarquer dans les années 70 par l’écriture d’un scénario original réalisé par Karel Reisz (Le Flambeur/The Gambler, 1974) avant de passer à la mise en scène avec ce Fingers, au titre français particulièrement stupide et surtout inapproprié, qu’on réédite aujourd’hui.

8 juin 2012

"No future".


Le Grand soir, de Benoît Delépine et Gustave Kervern (2012).

            Soyons honnête : ni les divagations « groslandaises » sur Canal Plus, ni les premiers essais du tandem Kervern et Delépine ne m’avaient jusqu’ici beaucoup convaincu ou même seulement intéressé. Aussi est-ce avec une certaine méfiance que je suis allé voir du côté du Grand soir  --  avec méfiance mais non sans curiosité tant réunir Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel paraissait une idée riche d’heureux prolongements. Le jeu en valait la chandelle et cette fois, même avec un film pas toujours abouti et qui tire parfois en longueur (bien que d’une durée qui ne dépasse guère l’heure et demie), Kervern et Delépine trouvent le ton juste, soignent leur mise en scène et témoignent d’une véritable vision du monde  --  discutable peut-être, c’est à voir, mais, à ce titre même, stimulante.

6 juin 2012

"A la truelle".


Réédition de Attaque (Attack !), de Robert Aldrich (1956).

            Mort il y a presque trente ans, en 1983, Robert Aldrich n’a peut-être pas aujourd’hui toute la place qu’il mériterait d’occuper dans l’histoire du cinéma américain. Ainsi n’a-t-il jamais bénéficié en France de la même attention critique qu’un Samuel Fuller par exemple, un cinéaste dont, par certains côtés, il est assez proche. Il faut dire qu’il a toujours mis une sorte de point d’honneur à provoquer et à déplaire, et de façon tonitruante la plupart du temps  --  en s’affichant de gauche et en s’y tenant (parfois même en allant jusqu’à une espèce de nihilisme ricanant et ambigu), en prenant le système américain et ses valeurs à rebrousse-poil, en assumant une forme étonnamment cohérente de mauvais goût tant sur le fond (son appétence pour les monstres et les vieilles peaux) que sur la forme, avec sa mise en scène « à la truelle », pour reprendre la formule de Claude Chabrol (si j’ai bonne mémoire) et son esthétique souvent ahurissante voire carrément vulgaire (dans le choix de ses décors, de ses couleurs ou de certains effets visuels). Né en 1918, il a jeté un pont entre la génération de ceux qui connurent le cinéma muet (et dont il fut parfois l’assistant comme Wellman, Chaplin et même Renoir) et la suivante, la sienne, qui est arrivée juste après guerre et a connu la guerre froide, le maccarthysme et les débuts de la télévision. Il a mené à partir de 1953 (donc relativement tard) une carrière assez chaotique, connaissant autant de hauts que de bas et sacrifiant à tous les genres, séries noires, mélodrames, westerns ou films de guerre comme Attaque que l’on peut voir ou revoir ces jours-ci.

3 juin 2012

Une hagiographie prudente et respectueuse.


Woody Allen : A Documentary, de Robert B. Weide (2012).

            Il est toujours difficile de consacrer un documentaire à un cinéaste, surtout quand on l’admire. Il faut d’abord décider d’une approche générale (thématique ou chronologique) tout en ayant une vision claire de son sujet, savoir ensuite choisir des extraits de films significatifs, recueillir enfin des témoignages et des commentaires pertinents et qui surtout évitent de tomber dans l’anecdote facile ou la flagornerie servile. Rien de tel avec ce film qu’on nous propose aujourd’hui en salle (alors qu’il aurait bien mieux valu le diffuser à la télévision) et qui non seulement n’évite aucun des pièges attendus mais semble au contraire y tomber avec une sorte de délectation masochiste  --  et peut-être finalement très allénienne.

1 juin 2012

Fin de série (2).


Prometheus, de Ridley Scott (2012).

            Sale temps pour les séries et autres sagas. Après Men in Black 3, c’est au tour de Prometheus de démontrer à ceux qui l’ignoreraient encore que les meilleurs filons ont une fin. La saga Alien avait pourtant eu jusqu’ici beaucoup de chance : quatre films[1], tous réussis, confiés à quatre metteurs en scène radicalement différents[2] et parfois improbables mais qui tous surent faire œuvre originale et personnelle tout en respectant les contraintes du genre. Bouclant la boucle (même si ce film-ci se veut, de façon un  peu spécieuse, indépendant des autres), c’est à Ridley Scott qu’il revient aujourd’hui d’enterrer la série, lui qui le premier avait mis sur orbite le spectaculaire monstre extra-terrestre.