30 janvier 2012

Un Sherlock Holmes peut toujours en cacher un autre.

Sherlock Holmes 2: Jeu d’ombres, de Guy Ritchie.
La Vie privée de Sherlock Holmes, de Billy Wilder.
            Mais pourquoi suis-je donc allé voir cette seconde mouture d’un Sherlock Holmes new-look [1]  à l’esthétique passablement clipeuse, au milieu d’un parterre d’adulescents amateurs de pop-corn et de Coca-Cola, alors même que je n’ai pas vu la première et n’avais nulle envie de voir la seconde  --  sinon pour m’habituer mentalement et physiquement à un genre de spectacle où ne manqueront pas de m’entraîner dans quelques années mes vaillants petits-enfants. Bref, veni, vidi et à défaut de vici, je suis sorti de là comme on sort du grand huit d’un Disneyland en couleurs, cinémascope et son THX, avec les yeux en boutons de bottines, les oreilles bourdonnantes, le cerveau en capilotade (bien qu’il n’ait guère servi tout au long de la projection, croyez-moi) et le souffle court tant on s’est épuisé deux heures durant à courir après des effets de montage dont la rapidité tient lieu d’idée de mise en scène. Le virtuel prend ici le pas sur toute autre considération avec le seul souci d’en mettre plein la vue du public à coup de morceaux de bravoure et d’effets pyrotechniques aussi vains que bruyants. Ce n’est pas que Guy Ritchie ne connaisse pas son métier (il est même capable ici ou là de donner l’impression d’une mise en scène réussie), mais il ne peut s’empêcher de faire le malin, de remplacer l’humour par la dérision et de livrer finalement un produit industriel soigneusement calibré, ni bien ni mal filmé mais filmé autrement, qui ne se justifie que pour les profits substantiels qu’il ne manquera pas de générer et ne relève donc que très lointainement du cinéma (dont je sais bien, célèbre formule, qu’il est par ailleurs une industrie).
            Cependant (et pourquoi le taire ?) ce n’est pas avec le secret espoir de découvrir un chef-d’œuvre que j’ai perdu mon temps à ce blockbuster à peu près dénué de tout intérêt, mais pour revenir sur un autre Sherlock Holmes (dont rien dans l’actualité ne justifie qu’on en parle [2]), celui, sublime, de Billy Wilder dans La Vie Privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes, 1970).

28 janvier 2012

Un film noir très serré.

Le Coup de l’escalier (Odds Against Tomorrow), de Robert Wise (1959).
            Beaucoup ne connaissent Robert Wise (mais tout en ignorant peut-être son nom) que pour deux mauvaises raisons : le très surestimé West Side Story (1961), dont les bons moments sont dus au chorégraphe Jerome Robbins, et La Mélodie du bonheur (The Sound of Music, 1965), sirupeux musical à peu près insupportable de bout en bout. On ignore souvent qu’il fut à ses débuts le monteur d’Orson Welles (pour Citizen Kane, 1940, et La Splendeur des Amberson/The Magnificient Ambersons, 1941) et qu’on lui doit quelques très bons films à petits budgets réalisés dans les années 40 pour la R.K.O.[1] : La Malédiction des hommes-chats (The Curse of the Cat People, 1943), qui vaut beaucoup mieux que son titre imbécile, Le Récupérateur de cadavres (The Body Snatcher, 1945) ou encore Ciel Rouge (Blood on the Moon, 1948). A la charnière des années 40 et 50, il réalisa l’un des meilleurs films consacrés à la boxe (Nous avons gagné ce soir/The Set-Up, 1949, avec déjà Robert Ryan) et, en plein maccarthysme, un film de science-fiction étonnamment adulte (pour l’époque) et politique, Le Jour où la terre s’arrêta (The Day the World Stood Still, 1951). La suite de sa carrière, souvent opulente en termes de budgets, fut beaucoup plus hasardeuse sur le plan qualitatif,  quelques réussites assez rares émergeant ici et là, comme ce Coup de l’escalier (Odds Against Tomorrow) qu’il nous est donné de revoir aujourd’hui et que Wise (1914-2005) réalisa en 1959, juste avant West Side Story.

26 janvier 2012

"Tout le monde a ses raisons".

The Descendants, d’Alexander Payne.
            La carrière d’Alexander Payne (cinq films seulement à ce jour pour un cinéaste né en 1961) suit une courbe ascendante, au moins depuis Monsieur Schmidt (About Schmidt, 2002) et surtout Sideways (2004), sorte de road-movie nonchalant à travers les vignobles de la Napa Valley. Et c’est bien cette même nonchalance que l’on retrouve ici, ce choix, à de très rares moments près, d’une dédramatisation systématique qui fonde en quelque sorte la vision du monde du cinéaste, et son style.

22 janvier 2012

Un monde d'exil et de mort.

Revenir vers L’Insupportable légèreté de l’être.
            Curieuse carrière que celle de Philip Kaufman (né en 1936), scénariste autant que réalisateur (la plupart du temps, il est l’auteur complet de ses films) et qui n’aura pas mené à bien plus d’une douzaine de projets en quarante-cinq ans de carrière. La quantité ne saurait être cependant un quelconque critère de qualité, d’autant que Kaufman passe pour un cinéaste minutieux qui aime à prendre son temps. On est surtout surpris par l’irrégularité de sa production où beaucoup de films de peu d’intérêt se mêlent à quelques belles réussites.
            Inédit en France, The White Dawn (1974) bénéficie d’une excellente réputation [1] et, après avoir été renvoyé par Clint Eastwood du tournage de Josey Wales, hors-la-loi (The Outlaw Josey Wales, 1976) [2] et s’être laissé aller à quelques œuvrettes fort peu mémorables, Kaufman réalisa coup sur coup dans les années 80 deux films majeurs : L’Etoffe des héros (The Right Stuff, 1983) et cette Insoutenable légèreté de l’être (The Unbearable Lightness of Being, 1988) que l’on peut revoir (ou tout simplement voir) aujourd’hui.

20 janvier 2012

Enquête au bout de la nuit.

            Les hasards de la distribution nous proposent pour ainsi dire simultanément les dernières productions de deux des cinéastes américains les plus importants de la jeune génération, celle qui suit les ex-« jeunes-turcs » du « Nouvel Hollywood ». Le benjamin d’abord, Jeff Nichols (né en 1978), voici deux semaines avec Take Shelter, l’aîné ensuite, David Fincher (né en 1962), avec aujourd’hui Millenium, sous l’œil plus ou moins protecteur du grand aîné hors catégorie, Clint Eastwood (né en 1930) qui pourrait être leur père à tous deux. J’ajouterai, histoire de compléter cette constellation de surdoués, James Gray (né en 1969)[1] et Paul Thomas Anderson (né en 1970)[2]  --  le choix de ce carré d’as n’engageant bien entendu que moi.

17 janvier 2012

De l'épopée de tous à l'épopée d'un seul.

Sur deux films muets de John Ford.
            La Cinémathèque française vient de proposer la projection du film de John Ford Trois sublimes canailles (Three Bad Men, 1926), un de ses nombreux westerns muets, et sans doute l’un de ses meilleurs avec Le Cheval de fer (The Iron Horse), réalisé deux ans plus tôt. On y découvre un cinéaste déjà en pleine possession de ses moyens et pour qui l’art de la mise en scène tient moins à la composition du plan qu’à l’énergie qui le traverse. Ce n’est pas tant l’organisation de l’espace lui-même qui compte pour lui (encore qu’elle ne soit pas absente de ses préoccupations) que l’organisation de l’action au sein de cet espace, le jeu des corps et le mouvement des masses, enfin l’extrême vigueur du rythme qu’il imprime à son récit. Un art plus technique qu’esthétique, et qui paraît sans doute moins abouti que celui, en tous points admirable, du cinéma allemand de la même époque, mais qui définit ce qui deviendra rapidement l’essence même du grand cinéma américain de l’âge classique.

15 janvier 2012

A la (re)découverte de "La Ville abandonnée".

            Après André de Toth avec La Rivière de nos amours c’est au tour de William Wellman de bénéficier pour La Ville abandonnée (Yellow Sky, 1948) d’une réédition en copie neuve au Studio Action de la rue Christine  --  et c’est une excellente surprise.
            Vieux briscard de l’usine à rêves, anarchiste de droite mais capable de soutenir bec et ongle un cinéaste du bord politique opposé (Abraham Polonsky pour son Willie Boy, 1970), Wellman a mené une carrière longue et variée commencée à l’époque du muet, qui sacrifie à tous les genres (films noirs, westerns, chroniques guerrières, drames sociaux, comédies et même pamphlets anti-rouge) et plutôt réussie dans l’ensemble  --  ce qui explique d’autant moins l’oubli dans lequel il est tombé aujourd’hui. Outre la première version de Une Etoile est née (A Star is born, 1937), on lui doit notamment le célèbre Ennemi public (The Public Ennemy, 1931) où James Cagney écrase un demi-pamplemousse sur le visage de Mae Clarke, scène d’anthologie que Clint Eastwood fait figurer dans son récent J.Edgar. C’est dans la seconde partie de sa carrière et sur une période d’à peine plus de dix ans, entre 1942 et 1954, qu’il a réalisé six westerns variés et personnels, parfois même très novateurs,  et sur lesquels je reviendrai dans quelques semaines, la Cinémathèque annonçant la projection de L’Etrange incident (The Ox-Box Incident, 1943) pour le début du mois de février.

13 janvier 2012

Un dieu ténébreux et immobile.

            Il est bien loin le temps où le rédacteur anonyme d’une revue pourtant réputée pour son sérieux pouvait traiter L’Homme des hautes plaines (High Plains Drifter, 1973) de « Mein Kampf de l’Ouest » avant de l’exécuter en quelques lignes et peu de cinéastes américains bénéficient aujourd’hui d’une aussi large unanimité dans la louange et l’éloge que Clint Eastwood. Il est vrai que rien ne pouvait laisser penser que cet acteur de télévision (la série Rawhide), habilement utilisé par un cinéaste italien dans des westerns réputés hérétiques avant de rentrer au pays pour triompher dans des rôles de redresseurs de torts manichéens, allait devenir un jour, et finalement assez rapidement, ce cinéaste que l’on apprécie maintenant à l’égal des plus grands.

11 janvier 2012

Un MacGuffin en soutane.

            La Filmothèque de la rue Champollion propose ces jours-ci une courte rétrospective consacrée à Alfred Hitchcock forte d’une douzaine de films, la plupart assez connus (périodes anglaise et américaine confondues) mais dont un au moins, La Loi du silence (I Confess) est assez peu souvent projeté. C’est un film qu’Hitchcock tourna pour la Warner en 1952, juste après L’Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train, 1951) et qu’il ne considère pas comme une grande réussite.
Sans doute ne s’agit-il pas en effet d’une de ses œuvres majeures, mais ce film, dont le projet remontait en fait à 1947 et qui connut bien des vicissitudes [1], nous intéresse aujourd’hui pour au moins deux raisons. La première tient à l’importance qui lui fut accordée par les jeunes critiques des Cahiers du Cinéma, qui établirent à cette époque (et non sans raisons d’ailleurs) le dogme de l’infaillibilité hitchcockienne; la seconde à ce qu’il illustre de façon particulièrement éclairante ce que peut être le suspense selon Hitchcock et les ressorts qu’il met en jeu.

9 janvier 2012

"Un trop plein de ciel".

Premières notes pour un éloge de Jeff Nichols.

            Il y a des films dont les décors, naturels ou non, comptent autant, sinon plus, que les actions qui les traversent : avant-hier, les constructions de l’expressionisme allemand des années 20 aux lumières violemment contrastées ; hier, John Ford en son jardin de Monument Valley ; aujourd’hui, Jeff Nichols s’appropriant les vastes paysages de l’Amérique provinciale.
            De ce très jeune homme (il est né en 1978), et à bien considérer Take Shelter aujourd’hui et son précédent et premier film (Shotgun Stories, 2007) où il parvient à chaque fois à mener son récit jusqu’à son point ultime de tension avec la plus grande économie de moyens (je ne parle pas de budget), on peut déjà penser qu’il sera l’un des cinéastes majeurs de sa génération. Rarement en effet aura-t-on rencontré réalisateur aussi jeune faisant preuve d’entrée de jeu d’autant de maîtrise et de maturité tant au niveau de l’écriture du scénario (il est l’auteur complet de ses films) que de la mise en scène.

7 janvier 2012

Retour sur "La Rivière de nos Amours".

            Le Studio Action de la rue Christine propose une réédition en copie neuve de La Rivière de nos Amours (The Indian Fighter, 1955) d’André de Toth, le quatrième borgne d’Hollywood, les trois autres, bien plus connus, étant John Ford, Fritz Lang et Raoul Walsh [1]. Il est aussi un de ces cinéastes que l’on appelle communément un « petit maître », c'est-à-dire un réalisateur non dénué de talent, capable de réussir un excellent film ici ou là, mais en général perdu au milieu d’un océan de médiocrité. De Toth (1912-2002) bénéficie cependant d’une certaine aura due, d’une part à de très fortes amitiés françaises (celle de Bertrand Tavernier entre autres), et d’autre part à la publication de ses mémoires en  1998 et de deux entretiens avec le journaliste Philippe Garnier réunis en volume, le tout édité sous les auspices de l’Institut Lumière de Lyon [2] .

5 janvier 2012

Petit florilège pour l'année 2011.


N’ayant par nature aucune espèce de goût pour les palmarès, les distinctions honorifiques et autres médailles (ces hochets qui font marcher les hommes, comme disait à peu près Napoléon, qui s’y connaissait), je ne suis guère enclin à établir ma liste des cinq, dix ou vingt meilleurs [1] films de l’année 2011 qui vient de s’achever.
Je céderai pourtant une fois, et une seule,  à cet exercice toujours un peu vain mais que l’on pratique un peu partout à cette période de l’année, et que j’ai moi-même pratiqué il y a longtemps, mais qui a au moins une vertu : éviter un long et ennuyeux (et aussi sans doute inutile) discours théorique en composant une sorte de portrait impressionniste des goûts et des couleurs de celui qui s’y livre ; illustrer en somme très concrètement la formule dis-moi ce que tu aimes et je te dirai qui tu es.

3 janvier 2012

Du cinéma en général et de la cinéphilie en particulier, ou la règle du je.

Quelques mots pour commencer, d’un caractère un peu personnel qu’on voudra bien excuser tant il me paraît souhaitable de jouer carte sur table et d’annoncer la couleur.
            Un blog de plus donc, et qui pis est un blog consacré au cinéma alors qu’il en existe déjà des dizaines, pour ne pas dire plus, et sans compter les sites qui lui sont dédiés  --   alors, à quoi bon ?
            Mais après tout, moi qui ai connu l’époque des machines à écrire à ruban et des épreuves typographiques corrigées à la main et montées aux ciseaux et à la colle, aujourd’hui, quand la technologie offre des ouvertures qu’on n’aurait pas imaginées exister un jour, sinon dans quelque film de science-fiction, pourquoi ne pas revenir au cinéma et à la cinéphilie  --  ces passions de jeunesse longtemps mises sous le boisseau ?