14 décembre 2012

Un beau sujet gâché.


Les Bêtes du sud sauvage (Beasts of the Southern Wild), de Benh Zeitlin (2012).

            Voici donc le coup d’essai d’un jeune cinéaste qui nous arrive tout auréolé d’une gloire surprenante : accueil critique d’une rare ferveur et lauriers récoltés ici et là  --  Grand Prix du jury à Sundance et Caméra d’or à Cannes, entre autres distinctions. Ajoutons à cela l’axiome pas toujours justifié qui voudrait qu’une production indépendante fût a priori toujours peu ou prou intéressante, et l’on obtient à l’arrivée un film attendu avec une impatience fébrile et beaucoup d’espoir  --  un film que l’on pourrait dire en somme déjà aimé avant même que d’être vu. Le réveil n’en est que plus douloureux quand, au sortir de la projection, on se lamente avec colère sur l’air de « tout ça pour ça », une fois constaté que la montagne cinématographique qu’on nous promettait n’accouche que d’une souris prétentieuse.

            Les intentions, pourtant, du moins celles qui émergent péniblement de cet indigeste brouet, paraissaient prometteuses. Il y avait au départ, dans cette chronique sans fard des pauvres gens du sud profond (Noirs et Blancs confondus), quelque chose comme le lointain écho de l’admirable livre de James Agee (pour le texte) et Walker Evans (pour les photos) sur les métayers misérables de l’Alabama des années 30 victimes de la crise économique, « Louons maintenant les grands hommes »[1]. Le choix des bayous comme décor du film et d’un enfant comme personnage principal n’était pas sans évoquer au surplus l’admirable Louisiana Story de Robert Flaherty (1948), injustement oublié aujourd’hui (me semble-t-il) mais qui reste un modèle d’humanisme et de probité. Bref, de bonnes fées semblaient s’être penchées sur le berceau de ce premier film.

            C’était sans compter avec la vanité d’un cinéaste bien décidé à faire le malin  --  il n’est pas le seul, voir encore tout récemment le Cogan d’Andrew Dominik, lui aussi filmé en Louisiane, lui aussi qui s’attache, dans un registre certes très différent, au portrait d’une Amérique sinistrée à tous égards[2]. L’histoire de cette toute petite fille prénommée Hushpuppy ne manque assurément pas d’ambition en dépit de son apparente simplicité, pour ne pas parler d’indigence. Victime des mauvais traitements d’un père alcoolique et malade, elle observe un monde au bord de la destruction tout en rêvant d’un univers mythologique à la fois terrifiant et merveilleux. Une tempête qui ressemble à l’ouragan Katrina ravage le pays, provoquant une montée des eaux digne du Déluge et qui laisse une population déjà déshéritée dans une encore plus grande précarité tandis que des troupeaux d’animaux des temps anciens libérés des glaces par le réchauffement climatique envahissent une imagination enfantine porteuse d’espoir et de valeurs positives. Il y a chez tous ces personnages, qui endurent et qui durent, une formidable capacité de survie et d’adaptation que symbolise le retour de ces aurochs échappés du fond des âges. Description naturaliste d’un quotidien misérable, rêverie autour des contes et légendes de l’enfance, remontée vers une imagerie biblique dont se nourrit l’âme américaine  --  on voit qu’il ne manque pas ici de grain à moudre mais sans qu’aucune ligne de force ne vienne jamais donner la moindre unité à des éléments riches mais disparates et qui demeurent finalement à l’état de bonnes intentions un tantinet démagogiques.

            Car tout ce qui brille ici n’est point or mais verroterie à deux sous et clinquante quincaillerie. Quand il devrait y avoir de l’émotion, on ne découvre guère que de la rouerie savamment calculée ; quand il devrait y avoir de la grandeur et du lyrisme, on subit un commentaire en forme de pompeux verbiage ponctué de grandes envolées musicales ; quand il devrait y avoir rigueur et réserve dans la mise en scène, on reçoit en pleine figure une suite d’effets faciles bourrés d’esbroufe et d’épate  --  le comble de la malhonnêteté en matière de cinéma. Avec sa caméra constamment portée à l’épaule, ses images tremblées et sa mise au point souvent aléatoire, Zeitlin cherche à faire passer un formalisme détestable pour de la spontanéité documentaire  --  justifiant un grand foutoir visuel parfaitement réfléchi par la soi-disant modestie d’une production dont le générique final montre que les moyens ont été sans doute moins limités qu’on aimerait nous le faire croire. L’arnaque fonctionne à merveille et Behn Zeitlin, présenté comme un débutant surdoué alors qu’il n’est qu’un grossier m’as-tu-vu, ne va pas manquer d’en toucher les dividendes. C’est aussi navrant que détestable.



[1] Plon, collection « Terre Humaine », 1972.
[2] On pourrait aussi évoquer le Paperboy , de Lee Daniels. Le Sud profond n’a décidément guère de chance avec le cinéma en ce moment.

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