5 décembre 2012

Le diable au couvent.


Au-delà des collines (Dupa Dealuri), de Cristian Mungiu (2012).

            Jeune cinéaste distingué par une Palme d’or inattendue en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, qui décrivait par le menu les aléas d’un avortement clandestin dans la Roumanie de Ceausescu, et de nouveau récompensé cette année (meilleur scénario et double prix d’interprétation féminine), Cristian Mungiu doit à son statut désormais international d’être considéré comme le chef de file d’un cinéma roumain en pleine renaissance. Il est sans doute un cinéaste des plus brillants et nul ne saurait contester son talent. Mais, pour autant, Au-delà des collines en montre aujourd’hui les limites, moins du fait de son indiscutable savoir-faire que de la perception qu’il en a et qu’il veut bien en donner.


            C’est par la passion amoureuse d’Alina (Cristina Flutur) pour Voichita (Cosmina Stratan) que tout commence. Les deux jeunes femmes se sont rencontrées dans un orphelinat, mais Alina a dû quitter Voichita pour aller travailler en Allemagne  --  cet Ouest vécu encore par certains comme une terre de perdition où rien n’est plus sacré. Quand elle revient au pays pour la ramener avec elle, Voichita a changé : elle s’est trouvé une autre passion, spirituelle celle-là. Entrée dans un couvent, elle lui préfère Dieu. Egarée par sa passion, Alina en perd la raison et, pour le prêtre et les religieuses qui l’entourent, elle ne peut être qu’habitée par le diable  --  un mal qu’il va falloir exorciser à coup de messes, de prières et d’eau bénite. Tout cela se terminera fort mal.

            Il s’agit là de l’adaptation par Mungiu lui-même d’un livre de la journaliste Tatiana Niculescu Bran, un récit non fictionnel  --  autant dire une de ces histoires vraies qui envahissent de plus en plus les écrans, et après tout pourquoi pas ? Mais que l’on ne s’attende pas à un film spectaculaire et tapageur à la façon de L’Exorciste de William Friedkin. Ce n’est d’ailleurs pas l’exorcisme en lui-même qui intéresse le cinéaste, même s’il donne lieu à une des scènes les plus fortes du film  --  la « crucifixion » d’Alina. Mungiu s’attache surtout à décrire l’obscurantisme dont font preuve tous ces religieux d’un autre âge, cependant  sincèrement soucieux de faire le bien. Car si le pope souhaite voir Alina quitter le couvent où elle sème le désordre, c’est finalement pour lui éviter de se retrouver à la rue qu’il se résout à la garder et, son état s’aggravant, à tenter de l’exorciser. Jamais l’enfer n’a été à ce point pavé de bonnes intentions. Il faut préciser que personne, que ce soit l’hôpital, l’orphelinat ou son ancienne famille d’accueil, ne se décide à prendre en charge la malheureuse Alina, abandonnée aux mains de ceux qui la tueront presque innocemment, par charité chrétienne. Il y a dans toute cette affaire une sorte de terrible lâcheté collective  --  métaphore peut-être de ce que fut la Roumanie de Ceausescu.

            Le sujet, on le voit, s’il ne prête guère à rire, manque d’autant moins d’intérêt qu’il se double d’une réflexion sur la difficile entrée dans la modernité d’une société encore archaïque à bien des égards. Là où, en revanche, le scénario reste singulièrement en panne, c’est dans la description des ravages provoqués par la passion qu’Alina nourrit pour Voichita. Ce versant intime (et scabreux certes) de son récit, Mungiu semble répugner à l’aborder, on ne sait trop pourquoi. Mais ce refus de débordements sensuels qu’autorisaient (et même exigeaient) les sentiments hors norme que nourrissent ses personnages nuit d’autant plus à son propos qu’il adopte au surplus, davantage encore que dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours, un style volontairement glacé et glaçant.

            C’est ce style plus que distancié qui pose précisément ici les limites du cinéma de Mungiu. Traitant son récit en longs plans-séquences, souvent fixes, il semble moins s’intéresser à ses personnages qu’au soin apporté à la composition de ses cadrages, parfois à la limite du pictorialisme. De même qu’il arrive qu’un excès d’humilité cache un très grand orgueil, l’apparente rigueur de sa mise en scène pourrait bien dissimuler en fait une certaine complaisance esthétique non dénuée d’autosatisfaction. Mungiu semble surtout vouloir convaincre ici le spectateur du grand cinéaste exigeant qu’il est (pense-t-il), quitte à étirer sur deux longues heures et demie un argument mince au départ et qu’il se refuse délibérément à enrichir de quelque façon que ce soit. Aussi finit-on par se désintéresser d’un film qu’un peu de modestie eût rendu autrement passionnant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire