10 décembre 2012

Allégorie d'une Amérique au bord du gouffre.


Cogan : Killing Them Softly (Killing Them Softly), de Andrew Dominik (2012).

            Andrew Dominik fait partie de ces cinéastes australiens ou néo-zélandais attirés à Hollywood après quelques premiers pas au pays  --  illustrant en quelque sorte l’extrême porosité qui existe encore entre les anciennes colonies anglaises. De Peter Weir, le grand ancien, à John Hillcoat en passant par Andrew Niccol, pour le meilleur, et Baz Luhrman, pour le pire, ils sont ainsi quelques-uns à mener avec des fortunes diverses une carrière américaine (ou internationale si l’on préfère) aux côtés d’acteurs également d’origine aussie (Mel Gibson, Nicole Kidman, Russel Crowe, Eric Bana, Geoffrey Rush ou Cate Blanchett, parmi d’autres). Après L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, 2007), adaptation ambitieuse et plutôt réussie d’un roman de Ron Hansen, Andrew Dominik poursuit son compagnonnage professionnel avec Brad Pitt, également producteur de ce nouveau film, cette fois d’après une série (très) noire de George V. Higgins, Cogan : Killing Them Softly.

            On est bien là au départ dans un polar façon Scorsese, la présence de Ray Liotta aidant au rapprochement, mais saisi dans une perspective décalée  --  tout comme Jesse James se voulait autre chose qu’un simple western traditionnel. Les personnages habituels du genre sont bien au rendez-vous (le tueur, les demi-sel, l’avocat qui défend les intérêts d’une lointaine mafia, et ainsi de suite) de même que les figures obligées (braquage et règlements de comptes), mais le cinéaste les aborde de façon linéaire, avec un refus bien affirmé de la moindre surprise dramaturgique. Il y a dans cette histoire toute la rigueur dépouillée d’une tragédie classique dont on devine très vite où l’auteur va nous mener. Aussi Dominik, également scénariste, s’intéresse-t-il davantage à ses personnages qu’aux fils d’une intrigue particulièrement ténue. En longues scènes de dialogues parfois incongrues et souvent extérieures à l’action, il aligne une impressionnante galerie de losers qui hantent les  marges d’une Amérique en crise. Tout le film baigne d’ailleurs dans une étrange atmosphère qu’on dirait presque post-apocalyptique : quartiers ruinés, parkings déserts, échos de la crise financière (l’action se passe en 2008)  --  et jusque dans le choix d’une palette de couleurs sales, ternes et délavées. Obama, dans sa campagne électorale dont on capte des bribes, a beau promettre le retour d’une Amérique heureuse, le tueur qu’incarne Brad Pitt, cynique mais « délicat » (il préfère exécuter ses contrats « en douceur »  --  d’où le titre original), sait bien que le rêve américain s’est transformé en cauchemar et que l’Amérique, comme il le dit, « n’est plus qu’un business ».

            Cette allégorie d’une Amérique au bord du gouffre ne manque pas d’intérêt  --  même si, hélas, Andrew Dominik ne peut s’empêcher de faire ostensiblement le malin. Un peu à la façon d’un Kubrick à ses débuts (voir récemment Fear and Desire ), il manifeste la volonté de dépasser des genres jugés sans doute trop communs (le western précédemment, le polar ici)  --  un côté « on ne me la fait pas » qui pointait déjà son vilain museau dans Jesse James où se manifestait ici et là un certain goût pour l’épate et les effets faciles. Ce coup-ci cependant il passe à la vitesse supérieure. Incapable semble-t-il de faire confiance à un scénario certes minimaliste mais surprenant à sa façon, qui tient finalement bien la route et dont les moments en creux constituent précisément la richesse, il en rajoute dès le générique dans un maniérisme esthétique qui devient vite pénible et finit par gâcher un pourtant bon sujet.

            Pas fou malgré tout, Dominik dirige très habilement ses comédiens  --  assurément le point fort du film  --  qu’il laisse s’exprimer sans trop polluer leur jeu par ces gamineries stylistiques dont il se régale par ailleurs. Brad Pitt, Richard Jenkins, James Gandolfini, Ray Liotta, Scott McNairy ou Ben Mendelsohn (le frère « méchant » d’Animal Kingdom, le remarquable film australien de David Michôd, 2010)  --  tous sont excellents et sauvent la plupart du temps une entreprise trop souvent compromise par la prétention de son metteur en scène.

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