26 novembre 2012

Une nouvelle Amérique.


Une nouvelle chance (Trouble with the Curve), de Robert Lorenz (2012).

            Cela fait bien des années maintenant que Clint Eastwood n’a plus tourné sous la direction d’un cinéaste autre que lui-même. Il faut en effet remonter à 1993 avec Dans la ligne de mire de Wolfgang Petersen (In the Line of Fire), c'est-à-dire, dans sa filmographie de réalisateur, entre Impitoyable (Unforgiven, 1992) et Un monde parfait (A Perfect World, 1993). On peut donc penser que c’est d’abord par amitié pour Robert Lorenz, un de ses plus proches collaborateurs depuis Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County, 1995), d’abord comme assistant-réalisateur puis comme producteur, qu’il a accepté de revenir devant la caméra le temps d’un film  --  mais qui pourrait être son film de trop en tant qu’acteur.

            Non qu’Eastwood n’ait joué que dans de bons films, bien au contraire, et un certain nombre de productions médiocres voire exécrables (et qu’il a même parfois financées) jalonnent sa carrière. Mais en choisissant de ne plus travailler que pour son propre compte une fois passé la soixantaine, il s’est bâti peu à peu une sorte de légende de héros américain anachronique, gardien d’un monde disparu et plus ou moins fâché avec son époque, tel que le Gus Kowalski de Gran Torino (2009) l’a  pour ainsi dire sculpté dans la pierre pour l’éternité avant de choisir de disparaître  --  « devenir immortel et puis mourir », pour reprendre une réplique célèbre. Cet émouvant retrait d’un homme d’un autre temps concluait admirablement sa carrière d’acteur. Y ajouter un codicille, c’était donc prendre un risque, et un risque inutile.

            Car si l’échec d’Une nouvelle chance n’était pas inéluctable, il n’en est pas moins bien réel et surtout douloureux, qui abîme quelque peu l’image du maître. Pourtant Robert Lorenz bénéficiait au départ d’atouts non négligeables, notamment toute l’infrastructure eastwoodienne dont aucun des collaborateurs habituels ne manque à l’appel. Mais Tom Stern à l’image, Joel Cox au montage, James Murakami aux décors ou Deborah Hopper aux costumes ne sauraient pour autant garantir à eux seuls la qualité d’un film dont le principal défaut tient à la faiblesse de son scénario bien trop prévisible et dont la mise en scène plate et  conventionnelle ne parvient jamais à racheter les insuffisances. Difficile au surplus de ne pas voir que l’histoire très convenue de ce talent scout vieillissant qui écume les stades pour recruter des joueurs de baseball prometteurs lorgne ostensiblement vers Million Dollar Baby (2004) et surtout Gran  Torino avec son personnage rattrapé par de fatales infirmités.

La comparaison, inévitable, ne fait que ressortir davantage les défauts d’Une nouvelle chance  --  défauts qui existaient potentiellement dans les deux autres films mais qu’Eastwood, cinéaste aussi bien qu’acteur, avait su très habilement éviter. Ici en revanche le scénario accumule clichés et grosses ficelles, en rajoute sur les ravages de l’âge (Eastwood luttant lourdement contre une prostate défaillante) et à peine les personnages apparaissent-ils à l’écran qu’on devine aussitôt les péripéties qui vont s’ensuivre. Pénible impression de déjà-vu que l’acteur renforce encore lui-même quand, dans son rôle de vieux bougon au cœur d’or caché sous une rude écorce, il se laisse aller à un pénible exercice de cabotinage, grossière caricature du Kowalski de Gran Torino. Face au monstre sacré qui use et abuse de la liberté que lui laisse son metteur en scène (par amitié ou renoncement, on ne sait), Amy Adams s’en sort plutôt bien, jouant a contrario sur un registre retenu ; mais c’est John Goodman qui tire avec le plus de finesse son épingle du jeu dans un rôle secondaire où il laisse deviner cette humanité qui traversait Gran Torino et qu’on chercherait bien en vain ici.

            Ce n’est en fait que vers la fin que ce film inutile trouve in extremis sa raison d’être quand Amy Adams, en digne fille de son père, découvre à son tour un joueur de talent  --  un modeste latino qui parle avec sagesse (« Ce n’est qu’un jeu ») et pulvérise un batteur prétentieux, digne représentant d’une Amérique profonde à l’obésité satisfaite. Au-delà de la difficile quête d’une filiation entre une fille et son père (thème pour le coup très eastwoodien), on assiste alors, comme dans Gran Torino, à l’émergence d’une nouvelle Amérique  -- celle-là même que les amis du républicain Eastwood n’ont semble-t-il pas su voir venir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire