Une
nouvelle chance (Trouble
with the Curve), de Robert Lorenz (2012).
Cela fait bien des années maintenant
que Clint Eastwood n’a plus tourné sous la direction d’un cinéaste autre que
lui-même. Il faut en effet remonter à 1993 avec Dans la ligne de mire de Wolfgang Petersen (In the Line of Fire), c'est-à-dire, dans sa filmographie de
réalisateur, entre Impitoyable (Unforgiven, 1992) et Un monde parfait (A Perfect World, 1993). On peut donc penser que c’est d’abord par
amitié pour Robert Lorenz, un de ses plus proches collaborateurs depuis Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County, 1995),
d’abord comme assistant-réalisateur puis comme producteur, qu’il a accepté de
revenir devant la caméra le temps d’un film
-- mais qui pourrait être son
film de trop en tant qu’acteur.
Non qu’Eastwood n’ait joué que dans
de bons films, bien au contraire, et un certain nombre de productions médiocres
voire exécrables (et qu’il a même parfois financées) jalonnent sa carrière.
Mais en choisissant de ne plus travailler que pour son propre compte une fois
passé la soixantaine, il s’est bâti peu à peu une sorte de légende de héros
américain anachronique, gardien d’un monde disparu et plus ou moins fâché avec
son époque, tel que le Gus Kowalski de Gran
Torino (2009) l’a pour ainsi dire
sculpté dans la pierre pour l’éternité avant de choisir de disparaître --
« devenir immortel et puis mourir », pour reprendre une
réplique célèbre. Cet émouvant retrait d’un homme d’un autre temps concluait
admirablement sa carrière d’acteur. Y ajouter un codicille, c’était donc
prendre un risque, et un risque inutile.
Car si l’échec d’Une nouvelle chance n’était pas
inéluctable, il n’en est pas moins bien réel et surtout douloureux, qui abîme
quelque peu l’image du maître. Pourtant Robert Lorenz bénéficiait au départ
d’atouts non négligeables, notamment toute l’infrastructure eastwoodienne dont
aucun des collaborateurs habituels ne manque à l’appel. Mais Tom Stern à
l’image, Joel Cox au montage, James Murakami aux décors ou Deborah Hopper aux
costumes ne sauraient pour autant garantir à eux seuls la qualité d’un film
dont le principal défaut tient à la faiblesse de son scénario bien trop
prévisible et dont la mise en scène plate et conventionnelle ne parvient jamais à racheter
les insuffisances. Difficile au surplus de ne pas voir que l’histoire très convenue
de ce talent scout vieillissant qui
écume les stades pour recruter des joueurs de baseball prometteurs lorgne
ostensiblement vers Million Dollar Baby
(2004) et surtout Gran Torino avec son personnage rattrapé par de
fatales infirmités.
La comparaison, inévitable, ne fait que
ressortir davantage les défauts d’Une
nouvelle chance -- défauts qui existaient potentiellement dans
les deux autres films mais qu’Eastwood, cinéaste aussi bien qu’acteur, avait su
très habilement éviter. Ici en revanche le scénario accumule clichés et grosses
ficelles, en rajoute sur les ravages de l’âge (Eastwood luttant lourdement
contre une prostate défaillante) et à peine les personnages apparaissent-ils à
l’écran qu’on devine aussitôt les péripéties qui vont s’ensuivre. Pénible
impression de déjà-vu que l’acteur renforce encore lui-même quand, dans son
rôle de vieux bougon au cœur d’or caché sous une rude écorce, il se laisse
aller à un pénible exercice de cabotinage, grossière caricature du Kowalski de Gran Torino. Face au monstre sacré qui
use et abuse de la liberté que lui laisse son metteur en scène (par amitié ou
renoncement, on ne sait), Amy Adams s’en sort plutôt bien, jouant a contrario sur un registre
retenu ; mais c’est John Goodman qui tire avec le plus de finesse son
épingle du jeu dans un rôle secondaire où il laisse deviner cette humanité qui
traversait Gran Torino et qu’on
chercherait bien en vain ici.
Ce n’est en fait que vers la fin que
ce film inutile trouve in extremis sa
raison d’être quand Amy Adams, en digne fille de son père, découvre à son tour
un joueur de talent -- un modeste latino qui parle avec sagesse (« Ce n’est qu’un jeu ») et
pulvérise un batteur prétentieux, digne représentant d’une Amérique profonde à l’obésité
satisfaite. Au-delà de la difficile quête d’une filiation entre une fille et
son père (thème pour le coup très eastwoodien), on assiste alors, comme dans Gran Torino, à l’émergence d’une
nouvelle Amérique -- celle-là même que
les amis du républicain Eastwood n’ont semble-t-il pas su voir venir.
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