24 novembre 2012

Sans ennui ni passion.


Thérèse Desqueyroux, de Claude Miller (2012).

            Etait-il bien nécessaire de proposer au public de 2012 une nouvelle version de Thérèse Desqueyroux dont il existe une première adaptation réalisée par Georges Franju en 1962, avec Emmanuelle Riva et Philippe Noiret et sur des dialogues de Mauriac lui-même  --  par ailleurs co-auteur du scénario ? Cette histoire qui paraît d’un autre temps peut-elle encore nous toucher, ou seulement nous intéresser ? La réponse à ces interrogations, que l’on peut en fait formuler pour n’importe quel film, tient évidemment au regard que porte le metteur en scène sur son  sujet, à la façon dont il aborde et traite ses personnages et dont il dirige les acteurs censés les incarner, enfin aux choix qui sont les siens dans l’écriture du scénario (s’il y participe, ce qui est le cas ici) et dans les partis pris de la mise en scène. Ce travail alchimique délicat et mystérieux, qui est l’essence même de l’art cinématographique, il n’est pas certain que Claude Miller (disparu en avril dernier) soit parvenu à le mener totalement à bien ici.

            Non que le film soit le moins du monde déshonorant. C’est de l’excellent travail de professionnel, maîtrisé de bout en bout et bien interprété par des acteurs irréprochables  --  notamment un Gilles Lellouche qui trouve là l’occasion de sortir de ces rôles sans grand intérêt dans lesquels il se laisse un peu trop volontiers enfermer. Bref, de la belle ouvrage proche de cette « qualité française » dont on parlait autrefois (pour en dire du mal en général), du cinéma impeccable comme on n’a pas toujours l’occasion d’en voir. Mais l’intérêt dans tout cela, cette impérieuse nécessité qui fait qu’un cinéaste prend son spectateur par la main (quand il ne l’empoigne pas plus vigoureusement) pour ne le lâcher qu’une fois son film accompli et après l’avoir mené précisément là où il voulait ?

            Peut-être Miller affadit-il d’entrée de jeu son récit en lui rendant sa continuité chronologique alors que le roman (et l’adaptation de Franju) commence par un long retour en arrière où Thérèse cherche à comprendre et expliquer ses actes. Ce choix un peu scolaire, il l’accentue encore en ponctuant le film d’indications de dates parfaitement inutiles et même redondantes. Il dilue ainsi des scènes que Thérèse évoquait dans son souvenir entre sa sortie du Palais de Justice, après le non-lieu, et son retour auprès de son mari, et cette sorte de monologue intérieur permettait de mieux comprendre l’évolution du personnage. On comprend certes ici que Thérèse finit par étouffer aux côtés d’un mari plus balourd que méchant et qui surtout ne comprend rien à ce qui l’entoure, mais rien n’explique vraiment ce passage du conformisme à la révolte  --  alors que dans le roman la rencontre avec Jean Azevedo sert de pivot psychologique au récit. Ici tout apparaît trop lisse, trop uni, et cette absence d’aspérité ne rend guère justice à la complexité psychologique d’une histoire un peu trop réduite à une suite de belles images soigneusement reconstituées et filmées.

            Miller et sa co-scénariste Natalie Carter, paraissent d’ailleurs s’intéresser davantage à l’analyse sociale qu’à l’étude de caractère. C’est un choix respectable mais qui demeure un peu court et manque ici de profondeur et, pour tout dire, de méchanceté. Ils n’apparaissent certes  guère sympathiques ces représentants d’une bourgeoisie bordelaise rétrograde, englués dans les préjugés, attachés à l’apparence des convenances et de l’honneur, peu regardants sur les bassesses et les perfidies, mais, si j’ose dire, ils manquent de grandeur dans leur petitesse. On en reste ici au niveau d’un constat assez plat et l’on rêve à la façon dont un Autant-Lara jadis (que l’on se rappelle seulement de Marguerite Moreno dans Douce, 1943) ou un Chabrol plus récemment auraient su traiter de semblables personnages.

            Aussi est-ce sans réelle passion mais sans ennui non plus que l’on suit cette histoire de feu sous la glace où la glace finit par tout recouvrir. Claude Miller connaît admirablement son métier, c’est entendu, mais, quitte à s’attaquer à une histoire de cette sorte, et qu’on peut juger à bon droit désuète, sans doute aurait-il pu lui rendre davantage justice en adoptant un ton plus tranchant que le roman autorisait. Telle quelle, inconfortablement installée entre deux chaises, cette nouvelle Thérèse Desqueyroux laisse finalement de marbre  --  indifférent pour tout dire.

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