19 novembre 2012

Les lendemains qui déchantent.


Après Mai, d’Olivier Assayas (2012).

            Il y a des films (ou des livres, ou les deux) qui nous intéressent d’abord parce qu’ils  font surgir brusquement les fantômes d’un passé qui fut aussi le nôtre et que l’on est plus curieux que content de retrouver le temps d’une séance de cinéma (ou de la lecture d’un livre, ou des deux). C’est le cas du dernier film d’Olivier Assayas, Après Mai, où quelques-uns de ceux nés dans le mitan des années 50 revivront certains moments de fièvre qu’ils connurent comme acteurs ou comme témoins dans les années 70.

            Mais pour autant, et c’est la force principale de son film, Assayas (né en 1955) ne cultive aucune espèce de nostalgie  --  qui serait en l’occurrence pour le moins déplacée. Chargé d’une forte teneur autobiographique et ponctué d’allusions qui ne trompent pas (ainsi, indice parmi d’autres, son père, le scénariste Jacques Rémy, a bien été avec Claude Barma un des responsables à la télévision de la série des Maigret avec Jean Richard), Après Mai frappe d’abord par la justesse de sa reconstitution  --  une reconstitution qui appartient déjà à l’Histoire. Il y a là quelque chose de très exotique et d’un peu ridicule pour les jeunes générations, celles des enfants de ces garçons et de ces filles  que le film met en scène, et dont on peut se demander s’ils s’intéresseront une seule seconde à cette chronique qui risque de leur paraître antédiluvienne. On est soi-même parfois accablé en redécouvrant ces discours politiques qui ne doutaient de rien et surtout pas de la Révolution et de l’avenir de la classe ouvrière, cette phraséologie sculptée dans la plus insupportable des langues de bois, ces illusions qui menèrent certains sur les sentiers pour le moins hasardeux du terrorisme et les réveils souvent douloureux qui s’ensuivirent. Ou ces militants purs et durs qui rêvaient de faire le bonheur du prolétariat tout en renvoyant, et de quelle façon, leurs compagnes à la cuisine où la vaisselle les attendait. Difficile de trouver plus machos que certains gauchistes d’alors.

            Mais ce retour vers le passé, il faut le souligner, Assayas le fait avec une grande honnêteté. Il aurait été facile soit de jouer de l’attendrissement en idéalisant ces années-là de façon manichéenne, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre, soit au contraire de ridiculiser une époque rétrospectivement facile à brocarder. Après Mai propose une voie médiane assez juste. Les jeunes que l’on voit ici répètent certes à l’envi un discours plutôt pénible à entendre de nos jours, mais ils le font avec toute la maladresse et la sincérité de leur extrême jeunesse et Assayas les filme avec empathie, réservant une ironie un peu distante pour les adultes, maîtres à penser qui les inspirent et les accompagnent. Mais il le fait sans mépriser personne, sachant, pour reprendre la célèbre formule de Renoir, que « tout le monde a ses raisons »  --  du cinéaste révolutionnaire au proviseur du lycée en passant par le vigile de service, un personnage secondaire qui ne manque pas d’intérêt. C’est donc, et on lui en sait gré, une approche apaisée de ces années de poudre qui suivaient des années de rêve[1] qu’a choisie ici Assayas.

            La chronique qu’il propose n’est d’ailleurs pas uniquement politique. Gilles (Clément Métayer), double romanesque d’Olivier Assayas, vit aussi une éducation sentimentale et artistique qui, de Londres à l’Italie de l’art antique, l’éloigne de préoccupations politiques dont il comprend la nécessité mais que trouble une dérive radicale. Il y a en lui un peu du Frédéric Moreau de Flaubert, avec toute l’irrésolution d’un garçon qui craint de « passer à côté de sa jeunesse », comme il le dit avec une candeur un peu pompeuse, et, pourquoi pas, de sa vie d’homme. Il traverse son époque en en évitant les dangers (il ne cédera ni à la drogue ni au terrorisme), parvenant finalement à se construire contre vents et marées.

            Dommage cependant qu’Olivier Assayas, qui ne déteste pas donner parfois une certaine ampleur romanesque à ses films, y compris dans la reconstitution historique, se limite ici à un récit un peu étroit et contraint où les personnages manquent de consistance et le scénario d’inattendu dans le déroulement de péripéties exagérément démonstratives. La maladresse de ses jeunes acteurs, non-professionnels pour la plupart, si elle rend bien compte du sérieux pontifiant de ces adolescents qui récitent le discours politique qu’on leur a méthodiquement inculqué, n’arrange rien en nuisant à la crédibilité d’une entreprise dont elle souligne trop souvent le caractère artificiel. C’est au surplus de façon récurrente que l’on retrouve cette faiblesse dans la direction des acteurs  --  jusque dans le rôle du père où André Marcon, un pourtant bon comédien, ne parvient jamais à se départir d’un jeu exagérément  théâtral.

            Reste qu’il s’agit là d’une œuvre d’une grande probité, certes bien moins accomplie qu’on l’aurait souhaitée, mais mise en scène avec une rigueur classique parfaitement maîtrisée. Ce n’est déjà pas si mal et l’on s’en contentera.



[1] J’emprunte ces formulations à Hervé Hamon et Patrick Rotman dans leur livre « Génération » (Editions du Seuil, 1987).

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