27 novembre 2012

Un catéchisme lourd et démonstratif.


Le Capital, de Costa-Gavras (2012).

            Costa-Gavras est de ces cinéastes courageux et pas très nombreux qui estiment que leur inspiration doit naître d’une indignation ou d’un engagement, et souvent des deux à la fois. Rares sont ses films qui ne s’intéressent pas peu ou prou à l’actualité, celle d’aujourd’hui comme celle d’hier  --  qui appartient désormais à ce qu’on appelle l’Histoire. Il a ainsi développé en bientôt cinquante ans (son premier film, Compartiments tueurs, un très bon polar adapté d’un roman de Sébastien Japrisot, date de 1965) une œuvre assez cohérente, avec des fortunes diverses assurément, mais d’une sincérité et d’une honnêteté absolues. L’homme croit visiblement à ce que fait le cinéaste et inversement, au prix parfois de lourdeurs et de simplifications qui limitent la portée de son discours. Ainsi, en illustrant des thèmes assez voisins, qui mettent en cause les méfaits bien réels du capitalisme financier, peut-il tour à tour réussir un film intelligent et malin (Le Couperet, 2005) ou au contraire, comme aujourd’hui, se laisser entraîner dans un festival d’images d’Epinal aussi pesantes que finalement peu convaincantes.

26 novembre 2012

Une nouvelle Amérique.


Une nouvelle chance (Trouble with the Curve), de Robert Lorenz (2012).

            Cela fait bien des années maintenant que Clint Eastwood n’a plus tourné sous la direction d’un cinéaste autre que lui-même. Il faut en effet remonter à 1993 avec Dans la ligne de mire de Wolfgang Petersen (In the Line of Fire), c'est-à-dire, dans sa filmographie de réalisateur, entre Impitoyable (Unforgiven, 1992) et Un monde parfait (A Perfect World, 1993). On peut donc penser que c’est d’abord par amitié pour Robert Lorenz, un de ses plus proches collaborateurs depuis Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County, 1995), d’abord comme assistant-réalisateur puis comme producteur, qu’il a accepté de revenir devant la caméra le temps d’un film  --  mais qui pourrait être son film de trop en tant qu’acteur.

24 novembre 2012

Sans ennui ni passion.


Thérèse Desqueyroux, de Claude Miller (2012).

            Etait-il bien nécessaire de proposer au public de 2012 une nouvelle version de Thérèse Desqueyroux dont il existe une première adaptation réalisée par Georges Franju en 1962, avec Emmanuelle Riva et Philippe Noiret et sur des dialogues de Mauriac lui-même  --  par ailleurs co-auteur du scénario ? Cette histoire qui paraît d’un autre temps peut-elle encore nous toucher, ou seulement nous intéresser ? La réponse à ces interrogations, que l’on peut en fait formuler pour n’importe quel film, tient évidemment au regard que porte le metteur en scène sur son  sujet, à la façon dont il aborde et traite ses personnages et dont il dirige les acteurs censés les incarner, enfin aux choix qui sont les siens dans l’écriture du scénario (s’il y participe, ce qui est le cas ici) et dans les partis pris de la mise en scène. Ce travail alchimique délicat et mystérieux, qui est l’essence même de l’art cinématographique, il n’est pas certain que Claude Miller (disparu en avril dernier) soit parvenu à le mener totalement à bien ici.

23 novembre 2012

Un coup d'essai mais pas un coup de maître.


Fear and Desire, de Stanley Kubrick (1953).

            Doit-on se sentir coupable d’exprimer de sérieuses réserves à propos de ce film, le premier réalisé par Stanley Kubrick[1] ? Il est vrai que le cinéaste a été sanctifié à un point tel que toute opinion contraire à la doxa relève de l’hérésie et du crime de lèse-majesté. Mais Kubrick semble avoir répondu lui-même à la question en décidant d’éliminer Fear and Desire de sa filmographie et en en détruisant la plupart des copies  --  apparemment pas toutes puisqu’on peut voir désormais le film, en allant ainsi à l’encontre des souhaits du cinéaste. Est-ce bien raisonnable ?

21 novembre 2012

Une nouvelle perle wilderienne.


Réédition de A Foreign Affair (La Scandaleuse de Berlin), de Billy Wilder (1948).

            Chaque nouvelle vision d’un film de Billy Wilder, loin de tempérer des enthousiasmes anciens, confirme, renforce et même amplifie l’importance au sein de l’âge d’or du cinéma américain classique de ce cinéaste trop longtemps sous-estimé. Mais comme tout grand cru, son œuvre ne cesse de se bonifier avec le temps. Même un film aussi étranger à sa nature que The Spirit of Saint-Louis (L’Odyssée de Charles Lindbergh, 1957), revu tout récemment[1], ne manque pas de moments tout à fait dignes de son immense talent et où l’on retrouve son style inimitable. Autant dire que la réédition de A Foreign Affair, assurément pas le plus connu de ses films,  nous permet aujourd’hui de (re)-découvrir une nouvelle perle wilderienne  --  une de plus pourrait-on dire.

19 novembre 2012

Les lendemains qui déchantent.


Après Mai, d’Olivier Assayas (2012).

            Il y a des films (ou des livres, ou les deux) qui nous intéressent d’abord parce qu’ils  font surgir brusquement les fantômes d’un passé qui fut aussi le nôtre et que l’on est plus curieux que content de retrouver le temps d’une séance de cinéma (ou de la lecture d’un livre, ou des deux). C’est le cas du dernier film d’Olivier Assayas, Après Mai, où quelques-uns de ceux nés dans le mitan des années 50 revivront certains moments de fièvre qu’ils connurent comme acteurs ou comme témoins dans les années 70.

17 novembre 2012

Un faux documentaire tout en épate et retape.


End of Watch, de David Ayer (2012).

            Scénariste (on lui doit notamment le script de Training Day, Antoine Fuqua, 2001, et de quelques autres films moins mémorables) et réalisateur, David Ayer s’intéresse avec obstination aux mœurs violentes des mégalopoles américaines  --  et notamment du quartier de South Central à Los Angeles où il a vécu adolescent. Autant dire qu’il nourrit son inspiration d’informations de première main  --  garantie, sinon de qualité, du moins d’une certaine authenticité. On ne lui reprochera donc pas d’ignorer ce dont il parle mais, pour autant, bien connaître son sujet ne signifie nullement bien le traiter, et Ayer nous en assène lourdement la preuve dans ce film détestable à bien des égards.

15 novembre 2012

"La nostalgie n'est plus ce qu'elle était".


Réédition de L’Etrange Créature du lac noir (The Creature from the Black Lagoon), de Jack Arnold (1954).

            Amusante idée (peut-être due au seul hasard) de rééditer ce petit film fantastique des années 50, en noir et blanc mais avec option 3D en prime, au moment où nous arrive par ailleurs le Frankenweenie de Tim Burton. Il n’y a ni mépris ni condescendance de ma part dans l’utilisation du qualificatif petit, qui se rapporte d’abord à la modicité d’un budget visiblement étriqué. Une poignée d’acteurs peu connus, un unique décor d’extérieur (le lagon du titre original) et tout le reste filmé en studio (avec transparences), à l’exception notable de prises de vues sous-marines dont le film fait un usage immodéré  --  normal, me direz-vous, pour une production qui met en vedette une créature amphibie.

12 novembre 2012

Fiction du réel et réalité de la fiction.


Argo, de Ben Affleck (2012).

            Acteur souvent brocardé pour ses mauvais choix et son talent jugé, à tort ou à raison, médiocre, Ben Affleck va-t-il finalement connaître l’heureux destin d’un Clint Eastwood, comédien vilipendé au début de sa carrière (certains le disaient « aussi expressif qu’une semelle de botte »), devenu un cinéaste reconnu et respecté, considéré aujourd’hui comme le « dernier des géants » d’un certain cinéma américain classique ? Il est certes difficile de préjuger de la suite de sa carrière mais, passé derrière la caméra en 2007 avec Gone Baby Gone, adapté d’un roman de Dennis Lehanne (autre point de convergence avec Clint Eastwood qui s’est attaqué, lui, à « Mystic River » du même Lehanne en 2003), il a fait depuis lors un parcours sans faute avec The Town en 2010 et aujourd’hui Argo.

8 novembre 2012

Vertige métaphysique pour science-fiction de qualité.


Looper, de Rian Johnson (2012).

            Voilà un film de science-fiction (mais il y a en fait ici peu de science et beaucoup de fiction) comme on en voit finalement assez rarement et qui mérite donc le détour. Bénéficiant  d’un budget certes confortable mais qu’on peut cependant considérer comme relativement limité à l’aune des blockbusters actuels, c’est par son scénario résolument adulte et réfléchi (et non dénué de fortes influences cinéphiliques, on le verra), et les choix esthétiques qui s’ensuivent, que Looper retient l’attention et sort de l’ordinaire. On ne s’y attendait guère  --  c’est donc une excellente surprise.

7 novembre 2012

Portrait de l'artiste en cinéphile incorrigible.


Frankenweenie, de Tim Burton (2012).

            Après la réussite en demi-teinte de Dark Shadows , Tim Burton nous devait une revanche. C’est chose faite aujourd’hui avec ce long métrage d’animation jubilatoire, tellement burtonien qu’on ne manquera pas ici ou là de faire des gorges chaudes à propos de ce cinéaste qui ne cesse de s’auto-caricaturer et de se répéter à l’envi, bref : de tourner en rond, non sans nourrir au passage de peu sympathiques préoccupations mercantiles  --  après tout, la franchise Tim Burton nourrit plutôt bien son homme. Mais si tourner en rond c’est faire preuve, comme ici, de cohérence dans l’inventivité, d’originalité dans les choix esthétiques ou encore d’humour dans le développement d’un scénario impeccable et truffé de références cinématographiques, alors souhaitons que beaucoup d’autres cinéastes se décident eux aussi à tourner en rond d’aussi belle façon  --  ce ne sont pas les cinéphiles qui s’en plaindront.

5 novembre 2012

Le côté obscur du héros.


Skyfall, de Sam Mendes (2012).

            Difficile d’ignorer, la nouvelle ayant été répandue à grand renfort de trompe, que James Bond est aujourd’hui, au cinéma[1], un fringant quinquagénaire. Fringant ? C’est à voir tant, pour le nouvel establishment de la sécurité, il semble faire partie de ces objets obsolètes mais éventuellement attendrissants, car chargés de souvenirs, qu’on range à jamais dans les greniers de l’Histoire. L’affaire se veut donc entendue : face aux Jason Bourne et autres agents mutants et dopés au tout numérique, face à ces petits génies de l’informatique capables de semer mort et destruction en pressant d’un index désinvolte sur une touche de clavier, le vieux 007 ne fait apparemment plus le poids. N’échoue-t-il pas lamentablement aux différents tests qu’on lui impose, ne reprenant du service que par protection  --  merci M  (Judi Dench), devenue pour le coup une curieuse maman de substitution. Il s’agissait donc de donner une seconde jeunesse à notre cher Bond en lui faisant paradoxalement suivre une cure de cinéma à l’ancienne. Ce que comprenant, les producteurs ont décidé avec intelligence de faire appel à un metteur en scène de qualité qu’on n’imaginait guère voir embarquer un jour sur une semblable galère  --  ou plutôt sur un galion aussi vénérable. Opération en tous points réussie, disons-le tout net, et au-delà même de ce que l’on pouvait espérer.

1 novembre 2012

Capra, la politique et le rêve américain.


Réédition de State of the Union (L’Enjeu), de Frank Capra (1948).

            Pendant une petite dizaine d’années, de 1939 à 1948, Frank Capra réalisa ce qui était un de ses vœux les plus chers (après avoir eu son nom au-dessus du titre[1], signe absolu de réussite sociale et professionnelle) : obtenir son indépendance en créant sa propre maison de production sous la bannière ô combien symbolique de Liberty Film Inc. Il venait alors de réaliser Mr. Smith Goes to Washington (M. Smith au Sénat, 1939) et Meet John Doe (L’Homme de la rue) suivit en 1941  --  les deux premiers volets d’une trilogie politique que State of the Union allait conclure en 1948. Un film dont la réédition aujourd’hui ne manque pas d’une certaine opportunité puisqu’il décrit les tractations et autres manifestations menant à la désignation d’un candidat pour les élections présidentielles américaines.