4 octobre 2012

Une allègre danse macabre.


Le Magasin des suicides, de Patrice Leconte (2012).

            Il faudrait assurément réévaluer l’abondante production de Patrice Leconte, cinéaste très irrégulier dont certains films resteront à coup sûr alors même que d’autres sont d’ores et déjà oubliés  --  encore serait-il bon de vérifier qu’ils méritaient de l’être. Lui qui a beaucoup vitupéré contre une critique elle-même loin d’être au-dessus de tout soupçon, il n’est pas sans assurer une manière de continuité avec un certain cinéma français  --  celui de cette « qualité française » que Truffaut et ses amis stigmatisèrent en leur temps. Il serait un peu hasardeux, si l’on veut poursuivre la comparaison entre les deux époques, de le confondre avec des cinéastes comme Clouzot ou Becker mais, mutatis mutandis, sa carrière rappelle celle d’un Christian-Jaque, capable du meilleur et du moins bon, voire parfois du pire. L’un et l’autres ont été à l’origine de quelques succès populaires mémorables, ce qui n’a rien de blâmable, et leurs filmographies respectives montrent assez qu’ils ont su s’illustrer dans les genres les plus variés  --  quoi de commun en effet entre Les Bronzés (1978), Monsieur Hire (1989) et Ridicule (1996) ? Et aujourd’hui Leconte choisit une fois encore d’élargir sa palette en nous proposant un film d’animation  --  Le Magasin des suicides.

            Imaginez une ville particulièrement sinistre, hantée par des habitants neurasthéniques, où même les pigeons sont déprimés, et vous obtiendrez le décor de cette comédie musicale funèbre mais très optimiste malgré tout. De cette grisaille uniforme émerge une boutique pimpante, décorée à la façon d’une confiserie à l’ancienne, le « Magasins des suicides » tenu par la famille Tuvache  --  de père en fils depuis 1854. Il y est proposé dans toutes les gammes de prix (mais attention : la maison ne fait pas de crédit) une vaste gamme de produits de qualité destinés à mettre fin à ses jours  --  poisons pour tous les goûts, cordes, pistolets à une seule balle, champignons vénéneux, insectes venimeux, large choix de lames de rasoir soigneusement aiguisées (y compris rouillées : si on rate ses veines, le tétanos finit le travail), ensemble pour asphyxie avec masque et bonbonne, ou encore sabre de samouraï réservé aux suicidaires sportifs. Tout cela aurait pu inspirer un Tim Burton que le cinéma d’animation ne laisse pas indifférent, mais c’est plutôt du côté de Charles Addams et de ses dessins[1] qu’il faut plutôt aller chercher une certaine parenté, me semble-t-il.

            Le malheur des uns faisant, c’est bien connu, le bonheur des autres, les Tuvache vivent donc un vrai conte de fée, un peu noir mais bien réel, heureux du désespoir qui les entoure. Le malheur les rattrape cependant quand leur naît un troisième enfant  --  joyeux luron toujours hilare et d’un optimisme indestructible. Ne voilà-t-il pas que le bougre se met à accueillir les clients d’un « bonjour » tonitruant alors qu’il faut dire « mauvais jour », à leur souhaiter une « bonne soirée » en leur disant « au revoir » et non « adieu » et même à saboter les articles vendus par ses parents  --  de quoi ruiner en somme l’opulent commerce familial.

            On imagine qu’un tel sujet ouvre toute grande la porte à un humour grinçant où les mille et une façons de se suicider deviennent autant de sujets de gags et de plaisanteries. Quelqu’un  a dit un jour que l’humour était la politesse du désespoir : eh bien Leconte nous propose ici un film d’une exquise politesse qui sait jusqu’où aller trop loin sans jamais tomber dans le scabreux. Tout est dit de ce monde triste qui pourrait bien être le nôtre, mais avec légèreté et poésie  --  et finalement bonne humeur et optimisme. Car le rejeton souriant et ses joyeux drilles de copains savent bien qu’il suffit parfois d’être un clown et de faire rire[2] son public pour changer la face du monde et lui donner peut-être une raison de vivre.

            Ce que fait Leconte avec une originalité graphique qui nous change agréablement de l’esthétique manga des productions asiatiques ou des images soigneusement lissées de la plupart des dessins américains d’aujourd’hui où le fond semble davantage compter que la forme. Il y a ici une belle inventivité tant dans l’écriture du scénario (par Leconte lui-même, qui adapte un roman de Jean Teulé) que dans la direction artistique (Régis Vidal et Florian Thouret) où un soin tout particulier a été apporté aux moindres détails (affiches ou panneaux indicateurs par exemple) qui participent tous à la cohérence générale de l’entreprise. Et la partie comédie musicale, très bien menée (partition d’Etienne Perruchon), emporte le tout dans une allègre danse macabre faisant de ce Magasin des suicides une adresse tout à fait recommandable.



[1] Qui sont à l’origine de La famille Addams  et de ses différents avatars.
[2] Rappelons au passage deux titres de chansons (la seconde étant d’ailleurs un plagiat de la première) extraites de deux célèbres comédies musicales : « Be a Clown » dans Le Pirate (The Pirate, Vincente Minnelli, 1948) et « Make ‘Em Laugh » dans Chantons sous la pluie (Singing in the Rain, Stanley Donen et Gene Kelly, 1952).

2 commentaires:

  1. Nous venons de regarder ce long-métrage avec ma compagne (notamment inspirés, le croiriez-vous, par vos commentaires plutôt élogieux), et nous en sortons tous deux passablement consternés -- à tel point que persister à regarder la dernière demi-heure tenait de l’épreuve, dans l’espoir que quelque chose viendrait rattraper le film...

    Il y avait pourtant bien des choses à sauver dans ce Magasin : l’idée de départ, pourquoi pas (mais hélas, une idée ne suffit pas à faire un film), la qualité visuelle (les décors, l’animation et les textures compensant assez bien un graphisme par ailleurs relativement pauvre s’agissant des personnages), l’esthétique d’ensemble et un humour relativement bien tenu -- dans les rares moments où il n’est pas trop lourdement souligné.

    Ce qui m’amène à la faiblesse majeure du film : son écriture, constamment maladroite et fréquemment indigente (en particulier dans les numéros musicaux, qui ne survivent même pas au n-ième degré). Les dialogues, les paroles de chanson, et la construction narrative elle-même (intrigue inexistante, longueurs omniprésentes, progression du récit mal gérée...), donnent l’impression d’un bâclage complaisant et paresseux (que ne rattrapent certainement pas quelques allusions habiles à l’intention du cinéphile), au niveau de ce que le cinéma français peut produire de pire.

    La direction d’acteurs est à l’envi (avec une mention spéciale pour l’enfant tenant le rôle principal, exceptionnellement mauvais pour le peu qu’il ait à dire), et l’on se sent pris d’une honte grandissante à l’égard des quelques authentiques professionnels consciencieux et talentueux (dessinateurs, acteurs, animateurs) qui tentent de rattraper de leur mieux l’inanité de la chose dans son ensemble.

    Bref, c’est effroyablement mauvais et on le pardonne d’autant moins volontiers qu’on aurait sincèrement voulu y croire, l’espace d’un instant.

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    1. Désolé de vous avoir entraînés, votre compagne et vous, vers un film qui vous a tant déplu. Ma compagne et moi, on l'a bien aimé, vous l'avez compris. Comme le dit si bien mon bon maître B.W.: "nobody's perfect"!

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