10 octobre 2012

Détresse ou désastre?


Damsels in Distress, de Whit Stillman (2011).

            Whit Stillman tourne apparemment très peu  --  quatre films seulement en plus de vingt ans et le dernier en date, Les Derniers jours du disco (The Last Days of Disco) remonte à 1998. Doit-on le déplorer ? J’avoue à ma grande honte n’en avoir vu aucun  --  mais Damsels in Distress, sa dernière réalisation, ne m’incite guère à découvrir les autres.

            Le titre sonnait pourtant agréablement, comme l’écho lointain d’une comédie musicale des années 30 appartenant à la fabuleuse galaxie astairienne  --  mais sans Ginger Rogers (A Damsel in Distress/Une Demoiselle en détresse, George Stevens, 1937). Le film lorgne d’ailleurs ostensiblement vers la danse en général, la comédie musicale en particulier, et notamment le grand Fred Astaire  --  les claquettes étant ici explicitement présentées comme un antidépresseur sans effets secondaires, et pourquoi non ? Cependant, la damsel du film de 1937 cède ici le pas à une forme plurielle puisque Stillman s’intéresse à quatre filles étudiantes dans une université très chic de la côte est qui pourrait être une des Sept Sœurs[1]  -- son nom, Seven Oaks, ne laissant d’ailleurs pas d’être transparent. Considérations existentielles et émois sentimentaux servent de fil conducteur ténu à une sorte de chronique nonchalante d’un intérêt pour le moins limité.

            On comprend très vite que le cinéaste, lui-même pur produit de la côte est et diplômé d’Harvard, avance résolument sur les brisées de Woody Allen, mais sans en avoir la verve sarcastique, et ses dialogues, certes très écrits mais d’une consternante vacuité, évoquent bien plutôt le ton artificiel et résolument bas-bleu de ceux d’Eric Rohmer. Rapprochement confondant mais qui devrait plutôt satisfaire Stillman : ne s’imagine-t-il pas encore en 2011  qu’un étudiant français rêve toujours devant le Truffaut de Baisers volés ou le Godard d’A bout de souffle ? Tant de candeur naïve dans le snobisme serait presque rafraîchissant.

            Non seulement tous les personnages du film parlent à peu près pour ne rien dire, mais, pistés par une caméra paresseuse, ils paraissent errer comme des âmes en peine à travers un campus très bon chic bon genre mais où il ne se passe rien  --  et pour cause : on a oublié d’écrire un scénario. Toute l’intrigue se résume à des échanges à peu près stériles entre un troupeau de bovins sexistes et une volière de perruches sentencieuses. Autant dire que, après un premier quart d’heure qui fait vaguement illusion, le malheureux spectateur sombre bien vite dans un heureux sommeil réparateur  --  j’exagère à peine.

            Il y a de cela bien des années maintenant (c’était en 1963), une romancière typique de l’intelligentsia libérale de la côte est, Mary McCarthy, écrivit l’histoire de quelques filles étudiantes dans une université très chic (Vassar, une des Sept Sœurs). Le livre s’intitulait «Le Groupe », il fut rapidement adapté au cinéma par Sidney Lumet, et on y songe presque tout au long de cet accablant pensum. Roman et film, en dépit de tous leurs défauts, proposaient une approche d’une toute autre qualité dans la description qu’ils faisaient, chacun à leur manière, d’un groupe d’intellectuelles snobs saisies entre leurs aspirations personnelles et leur environnement social et politique. On ne manquera pas de me dire que je souhaitais voir un autre film que celui que Whit Stillman a voulu faire. Peut-être, mais au fait quel film a-t-il voulu faire et qu’on ne voit pas sur l’écran ? Car ce qu’on y voit, franchement…



[1] Les Sept Sœurs sont un regroupement de sept prestigieuses universités féminines américaines de la côte est  et dont il semble qu’une seule (Vassar) soit devenue mixte.

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