10 septembre 2012

Pignon fixe et pas de freins.


Premium Rush, de David Koepp (2012).

            On doit à David Koepp l’écriture des scénarios de quelques mémorables blockbusters relevant peu ou prou de l’étrange, du fantastique voire de la science-fiction, pour Steven Spielberg (Jurassic Park, 1993, et La Guerre des mondes/War of the Worlds, 2005, entre autres), Brian De Palma (de L’Impasse/Carlitto’s Way à Snake Eyes, 1998) ou David Fincher (Panic Room, 2002) et la réalisation d’une poignée de films de formats nettement plus modestes et pas désagréables à l’arrivée, illustrant tous ses genres favoris (Réactions en chaîne/The Trigger Effect, son coup d’essai en 1996, Hypnose/A Stir of Echoes, 1999, ou encore Fenêtre secrète/Secret Window, 2004) jusque dans leurs variations les plus comiques (Ghost Town/La Ville fantôme, 2008). Avec Premium Rush, son dernier opus, qui met en scène dans les rues de New-York les (més)aventures d’un coursier à bicyclette particulièrement véloce,  il abandonne son domaine de prédilection pour une manière de thriller urbain filmé quasiment en temps réel et sur un rythme trépidant  --  mais d’où l’étrange et le fantastique ne sont pas totalement absents tant ces personnages de coursiers, véritables kamikazes à deux roues, semblent évoluer dans un monde parallèle qui défie les lois de la gravitation.

            Soit donc un jeune coursier à vélo, Wilee (Joseph Gordon-Levitt), le meilleur de tous, le plus rapide, le plus acrobatique, le plus suicidaire aussi peut-être, qu’on charge de transporter une enveloppe d’un bout à l’autre de Manhattan. Mission banale en soi qui se transforme en cauchemar quand un flic pourri de dettes et particulièrement vindicatif (Michael Shannon) décide de s’emparer du pli mystérieux qui devient dès lors l’enjeu d’une course-poursuite particulièrement essoufflante. Course-poursuite qui est en fait la seule et unique raison d’être du film, sachant que le contenu de l’enveloppe et ce qui s’y rattache n’offrent qu’un intérêt très secondaire. Un comble pour un scénariste qui néglige son histoire au point d’en rendre les ressorts dramatiques négligeables voire carrément discutables quand ils débouchent sur un sentimentalisme humanitaire démagogique avec la malheureuse dissidente chinoise qui cherche à récupérer son fils en fraude et doit payer des passeurs pour ce faire.

Mais, ceci expliquant sans doute cela, ce qui intéresse le cinéaste ce n’est pas le pourquoi, c'est-à-dire l’objet du film, son prétexte, son McGuffin pour reprendre un terme hitchcockien qui convient à merveille  (Wilee n’a-t-il pas littéralement « la mort aux trousses » ?), mais le comment, autrement dit la façon dont il va mettre en scène une aussi longue poursuite en en renouvelant régulièrement les péripéties. Ainsi la forme même du film en devient-elle le sujet et, plutôt que scénariste, Koepp doit se faire avant tout gagman. On ignore souvent qu’un gag peut être aussi bien un effet comique que dramatique, et c’est un habile mélange des deux que propose le cinéaste, transformant son film en une sorte de long dessin animé déchaîné. Ce n’est assurément pas pour rien qu’il donne à son personnage principal le nom de Wilee, qui est aussi, à peine transformé (il s’appelle en fait Wile E.), celui de l’affreux coyote imaginé par le génial Chuck Jones (Vil Coyote en français) qui ne cesse de concevoir des pièges sophistiqués pour attraper Bip Bip, le road runner  --  Road Runner étant d’ailleurs le nom d’une des entreprises de coursiers qui rameute ses troupes à la fin du film.

Donner au good guy un nom de méchant n’est jamais qu’un gag de plus dans un film qui n’en manque pas et où ledit good guy remet finalement les pendules à l'heure en victimisant à tour de bras un méchant que Michael Shannon interprète avec une délectation caricaturalement sadique. Multipliant les péripéties les plus invraisemblables, accumulant les effets les plus cartoonesques, Koepp parvient certes à compenser ses coups de freins intempestifs en relançant régulièrement la cadence de son récit, mais il aurait dû suivre le credo technique de Wilee : pignon fixe et pas de freins. A trop vouloir donner d’explications (oiseuses au surplus), le scénariste bride trop souvent le joyeux délire imaginé par le réalisateur. Regrettons que cette querelle schizophrénique nuise un peu au plaisir du spectateur.

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