31 août 2012

Une époque qui tourne mal.


Superstar, de Xavier Giannoli (2012).

            Imaginez qu’un Grégoire Samsa d’aujourd’hui se réveille un matin métamorphosé non pas en un repoussant cancrelat mais au contraire en une sorte d’idole adulée du public et poursuivie par micros et caméras, et vous obtiendrez les prémices de la fable kafkaïenne que développe Xavier Giannoli dans son dernier film, Superstar.

            C’est donc l’histoire d’un Martin quelconque, ici Kazinski mais le nom ne fait rien à l’affaire, homme modeste et perdu dans la masse des anonymes que nous sommes, qui vit dans son coin sans rien demander à personne sinon de demeurer ignoré du monde, et qui devient célèbre du jour au lendemain. Avec son physique passe-partout, Kad Merad incarne à merveille ce personnage transparent qu’on pourrait qualifier, en paraphrasant Alexandre Vialatte, de « pull-over habité ». Comment et pourquoi en est-il arrivé là, on ne le saura pas, mais des pistes sont lancées (car, comme à tout, il y a bien une origine), qui toutes partent d’internet, cette toile d’araignée virtuelle au centre de laquelle se débat sous nos yeux incrédules et bientôt horrifiés un quidam emporté par les débordements d’une époque qui tourne décidément très mal.

30 août 2012

Comme il est loin le temps des zozos!


Associés contre le crime, de Pascal Thomas (2012).

            Jeunes cinéphiles de moins de cinquante ans qui ignorez tout des années 60 et 70, vous n’avez rien connu. Il y avait alors pléthore de revues de cinéma, des ciné-clubs à tous les coins de rues ou presque et des milliers de passionnés, à Paris et en province  --  tel un certain Roland Duval qui ralliait de temps à autre la capitale pour acheter son pain de campagne chez Poilâne (les boulangers de province ne fabriquaient plus alors que de la baguette parisienne) et en profiter pour voir quelques films, sa miche sur les genoux. Professeur au lycée de Montargis, animateur de ciné-club, fondateur, directeur, rédacteur en chef et pratiquement unique de la confidentielle et provinciale revue de cinéma V.O., comme il le disait à peu près lui-même à l’époque, Roland Duval adressa chaque mois pendant un peu plus de deux ans (de 1974 à 1976) à la revue Ecran, chère à mon cœur, une « lettre du chef-lieu » pleine d’humour et très politiquement incorrecte, bien qu’en ces temps lointains cette notion fût encore ignorée. Sans doute bien peu de gens se souviennent-ils aujourd’hui de Roland Duval, quelques vieux cinéphiles et critiques de soixante ans et plus, et aussi assurément Pascal Thomas dont on peut voir ces jours-ci le dernier film, Associés contre le crime.

27 août 2012

Un monde d'illusions où triomphe l'argent.


Magic Mike, de Steven Soderbergh (2012).

            Il y a décidément un « cas » Soderbergh. Cinéaste éminemment moderne (sans guillemets) et même expérimental parfois (voir ainsi Schizopolis, 1996, ou Bubble, 2006) au risque de dérapages pas toujours bien contrôlés, il semble vouloir empiler les films comme le faisaient autrefois les plus grands cinéastes américains sous contrat avec les studios, variant thèmes et genres mais parvenant contre vents et marées à faire œuvre personnelle et cohérente, quand bien même cette cohérence disparaissait parfois sous le masque de l’hétérogénéité d’une production aussi abondante qu’irrégulière. Aussi est-il difficile de trouver aujourd’hui un fil conducteur (mais en existent sans doute plusieurs) dans la filmographie foisonnante d’un cinéaste qui paraît, bien plus qu’à ses débuts, possédé par une boulimie de travail qui l’amène à sortir trois films en à peine plus d’un an : le très médiocre Contagion, le récent et bien plus réussi Piégée (Haywire) et aujourd’hui Magic Mike, que je situerais volontiers à mi-chemin des deux autres mais plutôt côté réussite qu’échec. Assurément, à l’instar d’un Woody Allen mais en beaucoup plus intéressant, il lui faut comprendre que quantité ne rime pas forcément avec qualité et qu’on ne progresse pas forcément en pratiquant son art à outrance  --  quitte à le vider de sa substance.

24 août 2012

Sortir du purgatoire?


Actualité d’Otto Preminger (1).

            Rares sont les créateurs, qu’il s’agisse de peintres, d’écrivains, de musiciens ou de cinéastes (liste non limitative), qui n’aient connu après leur mort une période de purgatoire plus ou moins longue, quelquefois même définitive. Certains ont même rencontré cette disgrâce de leur vivant, quand leur œuvre s’est par exemple infléchie, donnant une image volontiers brouillée de leur auteur, décevant parfois, à tort ou à raison, ses plus fidèles admirateurs, se coupant enfin de son public jusqu’à multiplier les échecs commerciaux : livres qui ne se vendent plus, salles d’expositions, de concerts ou de spectacles désertées ou peuplées désormais par un dernier carré de thuriféraires eux-mêmes plus très sûrs de leur admiration. Ainsi Otto Preminger, cinéaste américain issu de la prestigieuse émigration viennoise (il est né à Vienne en 1906 et mort à New-York en 1986), bénéficia-t-il d’une gloire incontestée et incontestable dans les années 40 et 50 avant de se voir repoussé peu à peu vers les ténèbres extérieures à partir du milieu des années 60. Sans doute Preminger lui-même a-t-il été en grande partie responsable de cette dérive : lui qui prétendait assurer un contrôle jaloux voire dictatorial sur ses films, dont il a souvent assuré la production, il n’a guère pu  rejeter sur un autre ses plus retentissants échecs. Mais pour autant, certains de ses films qui furent vilipendés par une critique qui l’avait en d’autre temps porté au pinacle ne méritent assurément pas certains excès d’indignité. Comme nombre d’autres cinéastes de sa génération,  il s’est trouvé marginalisé par l’arrivée de jeunes réalisateurs plus en phase avec l’évolution des goûts du public, ces « petits prodiges barbus », comme le fait dire Billy Wilder (né lui aussi à Vienne et lui aussi en 1906) à un personnage de Fedora (1978), son chef-d’œuvre ô combien testamentaire, qui « n’ont pas besoin de script, eux, juste d’une caméra légère et d’un zoom ».

19 août 2012

Un grand n'importe quoi.


Abraham Lincoln : chasseur de vampires (Abraham Lincoln : Vampire Hunter), de Timur Bekmanbetov (2012).

            Il n’y a pas de mauvais sujet, j’ai eu récemment l’occasion de le dire, et rien n’interdit de choisir un personnage historique et de broder sur un canevas biographique des variations imaginaires  --  voire franchement fantaisistes. L’uchronie ne permet-elle pas, à partir de légers détournements historiques (Napoléon a gagné la bataille de Waterloo ou les Soviétiques ont été défaits à Stalingrad, par exemple), de refaire le monde, ou plutôt de revoir l’Histoire, souvent avec bonheur et de façon originale ? Alors, transformer le Président Lincoln en un chasseur de vampires, ceux-ci ayant colonisé tout le Sud des Etats-Unis et cherchant à dominer tout le pays, pourquoi pas ? Mais encore faut-il le faire avec un minimum de talent et de savoir-faire, ne serait-ce que sur le plan technique, ce qui, phénomène pour le moins étrange s’agissant d’un film américain au budget confortable sinon opulent, est loin d’être le cas ici.

12 août 2012

Une adaptation fidèle mais étriquée.


Jane Eyre, de Cary Fukunaga (2011).

Il n’y a pas de mauvais sujets et encore moins de sujets démodés, en dépit de l’origine très littéraire et du caractère résolument daté de certains d’entre eux, qui mêlent des intrigues impeccablement construites à un charme légèrement suranné mais chargé d’une sorte d’agréable ivresse romanesque. Ainsi, pour s’en tenir au seul registre britannique, les sœurs Brontë, Jane Austen, Dickens ou, plus tardivement, Thomas Hardy ont-ils été des sources d’inspiration largement mises à contribution aussi bien par le cinéma que, plus récemment, par la télévision. Certes moins célèbre que Les Hauts de Hurlevent de sa sœur Emily, Jane Eyre, roman écrit en 1847 par Charlotte Brontë, a-t-il connu diverses fortunes cinématographiques, depuis la version réalisée en 1943 par Robert Stevenson (qui n’était d’ailleurs pas la première) jusqu’à celle que nous propose aujourd’hui le jeune cinéaste américain Cary Fukunaga, auteur d’un précédent et premier film en 2009, Sin Nombre.

8 août 2012

Chronique sauvage d'une société au bord de l'abime.


ACAB (All Cops Are Bastards), de Stefano Sollima (2012).

            Etrange titre pour un film italien que ce mystérieux acronyme qui se décline en langue anglaise, façon pour les skinheads britanniques d’exprimer leur haine de la police  --  « Tous les flics sont des salauds ». Etrange titre mais film réussi au bout du compte, dû à un cinéaste venu de la télévision et de la série Romanzo Criminale, un certain Stefano Sollima (le film à l’origine de la série a été, lui, réalisé par Michele Placido en 2005), un nom familier aux oreilles des cinéphiles de ma génération puisqu’il est celui du fils de Sergio Sollima, ancien critique de cinéma et auteur à la fin des années 60 d’une excellente trilogie de westerns italiens (Colorado/La Reisa dei conti, 1966, Le Dernier face à face/Faccia a faccia, 1967, et Saludos Hombre/Corri, uomo, corri, 1968).

4 août 2012

Racolage et complaisance.


Kill List, de Ben Wheatley (2012).

Un rapide détour parisien m’a permis de voir quelques films sortis ces dernières semaines et qui n’étaient pas parvenus jusqu’à ma provinciale retraite d’été. Il y a d’ailleurs là, soit dit en passant, une situation de l’exploitation cinématographique proprement scandaleuse  --  j’y reviendrai peut-être un jour prochain. Kill List est le premier du lot, sorti il y a presque un mois et accueilli plutôt favorablement par une critique généralement indifférente à ce genre de production, à mi-chemin du polar et du film fantastique mais en même temps (fidèle en cela à une certaine tendance du cinéma britannique) sensible aux réalités sociales et à leurs manifestations quotidiennes. Bref, les ingrédients me paraissaient réunis (sur le papier du moins) pour une découverte  intéressante, un peu dans le sillage de Get Carter (La Loi du Milieu, Mike Hodge, 1971), d’Harry Brown (Daniel Barber, 2010) ou du récent Tyrannausor (Paddy Considine, 2011) ; la déception n’en a été que plus vive.