9 juillet 2012

Une plongée dans l'imaginaire poétique américain.


Summertime (The Dynamiter), de Matthew Gordon (2011).

Avec le cinéma indépendant américain, on n’est jamais à l’abri de très bonnes surprises  --  même si le seul label de « cinéma indépendant », tout comme celui de « cinéma d’auteur » d’ailleurs, ne nous évite pas pour autant de très mauvaises surprises, bien au contraire. Cette fois cependant, avec ce Summertime, premier film de fiction d’un jeune réalisateur qui a semble-t-il fait ses classes dans le reportage et le documentaire, c’est bien d’une belle et bonne réussite qu’il s’agit, aussi modeste dans ses moyens qu’ambitieux dans ses intentions et abouti dans sa réalisation.


Ne parlons pas vraiment pour le coup d’une histoire au sens où on l’entend habituellement, avec un début, un milieu et une fin, même si son personnage central, Robbie, un jeune garçon de quinzaine d’années, évolue progressivement et gagne en maturité le temps d’un été de vacances (d’où le titre « français » de Summertime, très différent du titre original The Dynamiter, mais pas totalement déplacé pour autant). Evoquons plutôt une sorte de chronique, à la fois tableau social et récit initiatique  --  bildungsroman dans le sud profond, sur lequel planent les ombres littéraires de Mark Twain et de William Faulkner et celles, cinématographiques, du John Ford des Raisins de la colère (The Grapes of Wrath, 1940) ou, plus encore, du Martin Ritt de Conrack (1972) ou de Sounder (1974).

C’est plus précisément dans le Mississippi que Matthew Gordon situe son histoire, un Mississippi certes contemporain mais qu’on croirait comme figé dans un autre temps, dans un passé qui serait cependant d’autant moins mort qu’il n’est même pas passé, pour reprendre la belle formule de Faulkner, et qui pèse de tout le poids d’un réalisme funèbre. Robbie vit là dans une maison délabrée avec son demi-frère et sa grand-mère, vieille femme mutique qui observe le monde comme il va. Et il va mal, le monde, pour Robbie et les siens, abandonnés par une mère qui vit sa vie ailleurs, loin d’eux, sautant d’un homme à un autre, et pourtant dont le retour, comme dans un drame antique, est toujours attendu, peut-être même espéré, sans doute redouté. Il y a une grandeur tragique dans cette attente et Robbie, comme dans la fratrie recomposée et haineuse du Shotgun Stories de Jeff Nichols (2007), atteint à la beauté du héros antique maudit des dieux.

Tout en menant son existence de jeune garçon qui partage les jeux de son âge avec son demi-frère cadet, notamment au sein d’une nature qui n’est pas sans évoquer cette fois certains textes de Truman Capote (ceux liés à l’enfance et au sud comme La Harpe d’herbes) ou Les Moissons du ciel (Days of Heaven, 1978) de Terrence Malick, Robbie doit multiplier les expédients pour permettre à sa famille de survivre tant bien que mal et de se tenir à l’écart de ces services sociaux, toujours vécus (voir ainsi le personnage qu’incarne Tilda Swinton dans Moonrise Kingdom) comme la pire atteinte à la liberté de l’homo americanus.

Car, au-delà du héros antique poursuivi par le fatum, Robbie s’inscrit aussi et surtout dans la grande tradition, peut-être un peu oubliée de nos jours, du héros américain héritier du Natty Bumppo de Fenimore Cooper ou du Huckleberry Finn de Mark Twain, personnage toujours en partance, éternel coureur des bois  --  et c’est bien de cela qu’il est question à la fin du film quand Robbie quitte sa famille d’accueil pour prendre la route en compagnie d’un couple de jeunes Noirs, personnages eux aussi en rupture. L’automobile remplace le radeau mais c’est bien à la même plongée dans l’imaginaire poétique américain que nous invite ici Matthew Gordon.

Il est tout à la fois réjouissant et passionnant de voir plusieurs jeunes cinéastes d’outre-Atlantique revenir ces temps-ci avec bonheur et réussite vers les grands mythes américains et quelques-unes de leurs racines européennes, les contes de fées notamment. Ainsi Debra Granik avec Winter’s Bone ou tout récemment Wes Anderson avec Moonrise Kingdom ont-ils mis en scène des adolescents refusant un monde d’adultes inconsistants et égarés, mais pétris d’une bonne conscience stérile et sans séduction, et partant en quête des images, des récits et des valeurs d’un passé magique riche d’expériences tout à la fois attirantes et effrayantes, voire dangereuses  --  mais vivantes. C’est dans ce sillage que s’inscrit aujourd’hui Summertime, remarquablement interprété par des comédiens non professionnels et curieusement mieux écrit que filmé (pourquoi toujours ces affèteries un peu naïves qui veulent faire passer une œuvre de fiction très élaborée, et particulièrement travaillée, pour un documentaire saisi sur le vif ?) mais vraie réussite cependant. Et c’est avec une impatience non feinte que l’on attend (pour décembre, je crois bien) toujours dans le même registre, Les Bêtes du Sud sauvage, de Benh Zeitlin, et Mud, le dernier film de Jeff Nichols.

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