5 juillet 2012

Cartes postales romaines.


To Rome with Love, de Woody Allen (2012).

           Au petit jeu de la quantité, qu’il dit préférer à la qualité, Woody Allen perd plus souvent qu’à son tour et oblige ses commentateurs à se répéter. Aussi dois-je redire ici, après l’avoir déjà dit à propos du documentaire hagiographique que vient de lui consacrer Robert B. Weide (Woody Allen : A Documentary), que ce cinéaste qui fut plus qu’estimable accumule depuis bien des années maintenant des productions d’une qualité pour le moins irrégulière, semblant vouloir profiter à l’excès d’une confortable rente de situation en espérant découvrir un jour ou l’autre une pépite du calibre de Annie Hall (1977) ou de Manhattan (1979). Mais les années passent et pour Woody Allen (soixante-dix-sept ans en décembre prochain) l’espoir de réaliser un nouveau grand film paraît s’éloigner de jour en jour et l’on doit se contenter le plus souvent de divertissements sans grand intérêt   --  à l’image de To Rome with Love, son quarante-et-unième film tout de même.


            Poursuivant son tour d’Europe à la façon des innocents abroad américains du XIXème siècle (la déception en moins), c’est à Rome que le cinéaste a installé cette fois sa caméra, après Londres, Barcelone et Paris et l’exception pas désagréable d’un court retour à Manhattan avec Whatever Works (2009). Cet engouement pour le Vieux Continent, où il a toujours été davantage considéré qu’aux Etats-Unis, lui a permis de retrouver par intermittence une partie de sa verve (Match Point en 2005 ou You Will Meet a Tall Dark Stranger/Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu en 2010, et dans une moindre mesure Vicki Cristina Barcelona en 2008) mais cette fois l’Italie ne l’inspire guère, et c’est un euphémisme. Woody Allen, qui s’est peut-être oublié dans les délices de Rome (à défaut de ceux de Capoue, nettement plus au sud), ne s’est pas donné la peine d’écrire un vrai scénario, limitant paresseusement son propos à quatre idées plus ou moins heureuses qu’il développe en quatre sketches qui se développent en alternance mais jamais ne se croisent  --  le fil conducteur de l’ensemble étant en fait la seule ville de Rome. Une Rome de carte postale pour touristes dénués d’imagination qu’il utilise comme pittoresque toile de fond, incapable semble-t-il d’en saisir l’authenticité et moins encore, pour parler pompeusement, l’âme. On pouvait en dire autant de Barcelone ou de Paris, moins de Londres où il paraît plus à son aise pour investir un décor et y développer une intrigue.

            Sans doute peut-on penser qu’il s’est souvenu ici des très riches heures du cinéma italien des années 60 et 70 avec ses films à sketches qui décrivaient de façon grinçante et décapante la société italienne de cette époque-là. Mais bien en vain semble-t-il. Des quatre sketches, un est essentiellement américain (un architecte revient par personnes interposées sur les traces d’un amour de jeunesse), deux se veulent des tableaux de la vie italienne (un couple de jeunes mariés vit le temps d’une journée une étrange éducation sentimentale tandis qu’un anonyme connaît quelques jours de célébrité par la grâce d’une émission de télé-réalité), le quatrième enfin est un mélange des deux,  où un metteur en scène américain spécialisé dans l’opéra (Woody Allen soi-même) propulse au rang de star du bel canto un modeste croque-mort qui ne peut chanter que sous la douche. Le tout brille surtout par une très grande hétérogénéité : l’amour de jeunesse est d’un intérêt plus que limité (hormis la prestation du couple Jesse Eisenberg/Ellen Page), mais les aventures inattendues des jeunes mariés sont bien menés et réjouissantes de bout en bout, et c’est à coup sûr, et de loin, la partie du film la plus réussie. Car la dénonciation des ravages de la télé-réalité et de la gloire frelatée qu’elle suscite est d’autant plus pesante et indigeste que le très surévalué Roberto Benigni en fait des tonnes comme à son habitude ; et quant à l’histoire du chanteur d’opéra, elle permet surtout à Allen de concocter quelques-unes de ces répliques rapides et drôles, certes tout droit venues de ses années de jeunesse mais qu’il sait admirablement écrire, convenons-en. C’est d’ailleurs à son seul savoir-faire « littéraire » plutôt qu’à une quelconque inspiration cinématographique que son film doit de ne pas tourner à la franche catastrophe. Il n’évite pas toujours les longueurs et les temps morts mais la qualité de ses dialogues et de ses « one-liners » lui permet de récupérer de temps à autre l’attention d’un public un peu somnolent et dont on peut penser qu’il n’assurera à To Rome with Love qu’un modeste succès d’estime.

            Reste enfin que, depuis Gordon Willis pour Annie Hall, Woody Allen sait admirablement choisir ses chefs-opérateurs, peut-être pallier ses propres insuffisances esthétiques. Après Sven Nykvist, Carlo Di Palma, Vilmos Zgismond et quelques autres, c’est à l’excellent Darius Khondji qu’il confie la lumière de ses films depuis Minuit à Paris (Midnight in Paris, 2011), et ce choix se révèle payant. Mais de beaux éclairages ne sauraient cependant suffire pour tirer de l’ornière de la médiocrité un cinéaste en très sensible  perte de vitesse.

2 commentaires:

  1. J'attendais depuis le début de votre article un jeu de mot sur "Vacances romaines"... (qui n'aurait pas été déplacé vu la date d'aujourd'hui :-)

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  2. Pour tout dire, j'ai soigneusement évité toute allusion à des "vacances romaines", le journal "Le Monde" ayant choisi ce titre pour sa critique du film. Ceci explique donc cela. Et merci encore pour votre lecture attentive et fidèle.

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