3 juin 2012

Une hagiographie prudente et respectueuse.


Woody Allen : A Documentary, de Robert B. Weide (2012).

            Il est toujours difficile de consacrer un documentaire à un cinéaste, surtout quand on l’admire. Il faut d’abord décider d’une approche générale (thématique ou chronologique) tout en ayant une vision claire de son sujet, savoir ensuite choisir des extraits de films significatifs, recueillir enfin des témoignages et des commentaires pertinents et qui surtout évitent de tomber dans l’anecdote facile ou la flagornerie servile. Rien de tel avec ce film qu’on nous propose aujourd’hui en salle (alors qu’il aurait bien mieux valu le diffuser à la télévision) et qui non seulement n’évite aucun des pièges attendus mais semble au contraire y tomber avec une sorte de délectation masochiste  --  et peut-être finalement très allénienne.


            Car, ce n’est pas une découverte, Woody Allen (mensonge ou vérité ?) ne s’apprécie guère, fidèle en cela à la célèbre formule de Groucho Marx qu’il a faite sienne : « Je n’accepterais jamais d’entrer dans un club qui m’accepterait comme membre ». L’un des  rares intérêts du film tient justement à ce qu’il donne assez largement la parole à un cinéaste relativement avare de confidences, même si ces propos, assez complaisamment recueillis (pour ne pas dire pieusement), demeurent trop souvent au niveau de détails pittoresques. Il est toujours intéressant de suivre un créateur dans son arrière-boutique, là où l’œuvre s’élabore. On retiendra donc de façon superficielle mais sympathique et amusante ses « paperolles » sur lesquelles, où qu’il se trouve, il consigne les idées qui lui viennent, la vieille machine à écrire indestructible sur laquelle il travaille depuis ses débuts et sa technique très personnelle du « copier/coller ».

            Mais on est là davantage dans l’anecdote que dans l’analyse. Robert Weide commence son film en adoptant une démarche chronologique, une façon de procéder certes un peu scolaire (ce n’est pas pour autant un défaut) mais sans grand risque. Rien (ou presque) ne nous est donc caché de l’enfance du maître, de ses débuts comme « stand up comedian », de ses premiers scénarios, de ses premiers films et de ses premiers succès. Les choses traînent bien un peu en longueur, se perdant dans des détails inutiles, mais on suit au moins de façon claire sinon passionnante l’évolution de sa carrière, et ses progrès dans l’écriture tant scénaristique que proprement cinématographique y sont justement soulignés  --  tout comme est souligné l’apport sans doute déterminant du chef-opérateur Gordon Willis, sur Annie Hall (1977) et Manhattan (1979) notamment. Mais ensuite, après Stardust Memories (1980) et Comédie érotique d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Sex Comedy, 1982), le documentaire perd progressivement son fil conducteur chronologique (difficile à suivre  compte tenu de la production pléthorique du cinéaste) et s’égare dans des considérations oiseuses à propos d’une œuvre où les échecs l’emportent rapidement sur les réussites, et dans des proportions écrasantes.

            Peut-être est-ce d’ailleurs la tournure prise par l’œuvre allénienne elle-même dès 1980 qui explique l’embarras de Weide. Comment, dans un documentaire qui se veut une hagiographie respectueuse, presque une biographie autorisée, dire que l’inspiration de son idole commence à se tarir, qu’il n’est bientôt plus que l’ombre de lui-même et qu’il ne reviendra jamais plus au niveau de ces réussites absolues qu’ont été Annie Hall et Manhattan  --  sinon à de rares exceptions près (Hannah et ses sœurs/Hannah and Her Sisters, 1986, ou Une autre femme/Another Woman, 1988, par exemple), et encore sur un mode mineur ? Ceux qui s’intéressèrent de près au cinéma de Woody Allen dans ces années-là (j’étais du nombre) peuvent en témoigner : après l’éblouissement inattendu que furent Annie Hall, Intérieur (Interiors, 1978) et Manhattan, il était compliqué d’admettre que tout avait été à peu près dit et que la suite serait le plus souvent décevante.

            Weide se garde bien d’ailleurs d’esquisser le moindre bilan critique, préférant enchaîner sur ses derniers films, de Match Point (2005), assurément un  de ses meilleurs  depuis longtemps, à Minuit à Paris (Midnight in Paris, 2011), un de ses plus gros succès commerciaux sans doute, mais au demeurant une réussite modeste  --  tout en oubliant au passage Whatever Works (2009) qui retrouvait en demi-teinte le charme et la verve d’Annie Hall et de Manhattan et alors même que Larry David, son acteur principal, est appelé à témoigner brièvement. Mais, pour le reste, il ne s’attarde guère sur vingt-cinq années (après Manhattan et jusqu’à Match Point) de production abondante mais routinière et même parfois franchement mauvaise (en gros tout ce qui va de Maudite Aphrodite (Mighty Aphrodite, 1995) à Melinda et Melinda (Melinda and Melinda, 2004). Il est certes bien difficile, surtout quand on l’a beaucoup apprécié, de s’attaquer à un cinéaste mythifié à l’excès, notamment par la critique française qui ne lui a guère rendu service en l’encensant sans discernement, y compris pour des films aussi effroyablement ratés que Tout le monde dit – I Love You (Everyone Says I Love You, 1996) ou Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry, 1997). Aussi comprend-on d’autant moins que Weide n’ait pas insisté davantage sur Hannah et ses sœurs ou Une autre femme, un titre qui n’est même pas cité. Sans doute ne pouvait-il pas répertorier les quarante longs métrages réalisé à ce jour par Woody Allen (je ne compte pas le dernier, et quarante-et-unième, qui va sortir début juillet, To Rome with Love). Mais il lui était possible tout de même d’opérer des choix plus judicieux, comme de ne pas trop s’attarder sur les pochades de ses débuts (Prends l’oseille et tire-toi/Take the money and run, 1969, Bananas, 1971, ou même Woody et les robots/Sleeper, 1973), d’établir une hiérarchie des œuvres plus rigoureuse, d’éviter de se perdre dans des anecdotes stériles qui n’amusent que ceux qui les racontent et surtout d’éliminer impitoyablement des témoignages, inutiles le plus souvent, parfois même d’un grotesque achevé et qui, de dithyrambes en platitudes, finissent par donner une image fausse et tronquée du cinéaste.

            Il n’y a guère que le producteur Roger Greenhut à faire preuve d’un peu de pertinence au sein de cet aréopage où même Martin Scorsese (mais que vient-il faire dans cette galère ?) ne réussit qu’à débiter des banalités de circonstance, quand il explique avoir encouragé son ami à réduire son rythme de production. Mais Allen ne l’a pas suivi, lui qui reconnaît honnêtement préférer la quantité à la qualité : peut-être parmi tous ces films, parfois sans grand intérêt, se glissera-t-il un jour une véritable pépite ? Faut-il voir là l’aveu ultime et amèrement lucide d’un cinéaste qui avait somme toute peu à dire, qui l’a dit très tôt et très bien et qui a ensuite profité d’une confortable rente de situation en attendant un miracle qui n’est jamais venu ? Mais demain, qui sait si…

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