Trishna,
de Michael Winterbottom (2012).
La carrière du britannique Michael
Winterbottom ressemble un peu à celle de son compatriote Stephen Frears. L’un
et l’autre sont des réalisateurs hyperactifs, travaillant aussi bien pour le
cinéma que pour la télévision ; l’un et l’autre affichent aussi une
production résolument hétéroclite et d’où toute unité semble avoir été
volontairement bannie. La comparaison s’arrête cependant là : sans doute
moins brouillon, maîtrisant à l’évidence mieux ses sujets, aussi divers
soient-ils, Frears présente une filmographie d’une qualité impressionnante
quand Winterbottom, peut-être plus enclin à prendre des risques en se lançant
dans des aventures parfois aléatoires, aligne en revanche davantage d’échecs
(ou, à tout le moins, de déceptions) que de réussites. Parmi celles-ci, citons
le récent The Killer inside me
(2010), excellente adaptation de l’excellent (et très noir) roman du grand Jim
Thompson (Le Démon dans ma peau[1]).
Et, plus lointainement, Jude (1996),
transcription cinématographique du Jude
l’Obscur de Thomas Hardy -- auteur vers lequel il revient aujourd’hui en
transposant son roman Tess d’Urberville
dans l’Inde contemporaine.
Evacuons tout de suite la question
de la fidélité au roman. Winterbottom aurait tout aussi bien pu taire l’origine
littéraire de son film tant il est vrai qu’il n’en a gardé que les (très)
grandes lignes, et encore, confondant même dans un seul personnage Angel Clare,
le romantique mais peu indulgent mari de Tess, et Alec d’Urberville, le
jouisseur cynique qui l’a séduite et qu’elle finit par assassiner. Hardy n’y
retrouverait donc guère ses petits et c’est surtout, pour ne pas dire
uniquement, l’opposition entre classes sociales qui semble avoir surtout
intéressé le cinéaste qui est aussi l’auteur du scénario. Opposition au moins
autant marquée dans l’Inde d’aujourd’hui, violemment coincée entre tradition et
modernité, que dans l’Angleterre victorienne du roman. Ainsi, modeste fille de
la campagne, Tess devenue ici Trishna (Freida Pinto) se laisse-t-elle séduire
par Jay (Riz Ahmed), fils d’un riche propriétaire d’une chaîne d’hôtels de
luxe. Leur différence sociale les amène à entretenir peu à peu des relations de
domination, pour lui, et de soumission, pour elle.
Winterbottom mène son affaire de
façon elliptique, sans insister particulièrement sur les événements les plus
déterminants de l’histoire (la séduction de Trishna, sa grossesse et son
avortement) ; le récit y gagne en fluidité et en rapidité ce qu’il perd en
épaisseur romanesque -- cette épaisseur romanesque qui était l’alpha
et l’oméga du roman victorien. Aussi le film devient-il rapidement une sorte de
documentaire romancé, pas inintéressant d’ailleurs, et assez enlevé, sur la vie
quotidienne indienne, les misères de la vie à la campagne, le grouillement
permanent des mégalopoles tentaculaires (Jaipur ou Bombay) ou encore l’abîme social qui sépare riches et pauvres,
puissants et misérables. Ce n’est guère qu’au moment où Jay commence à traiter
Trishna à la fois en domestique et en prostituée, lui imposant une
insupportable et humiliante domination sexuelle, que le film monte enfin en
puissance jusqu’au meurtre final. Trop tard malheureusement pour réveiller
l’intérêt du spectateur un peu anesthésié par l’absence, volontaire ou non, on
ne sait, de toute dramatisation. Winterbottom, en introduisant ici et là de
nouveaux personnages, laisse deviner des pistes susceptibles de relancer son
récit, mais c’est pour les abandonner rapidement de façon tout à fait
arbitraire. Qui plus est, on a bien du mal à croire à la métamorphose du
personnage masculin -- c’était
évidemment le danger, que le cinéaste ne sait pas éviter, de confondre deux
personnages aussi antagonistes que le sont Clare et d’Urberville dans le roman
de Thomas Hardy. Une comparaison sur tous ces points avec l’adaptation,
exemplaire il est vrai, de Roman Polanski est accablante pour Winterbottom.
Il n’y a certes pas lieu de douter
un instant de la sincérité d’un réalisateur qui jette sur l’Inde moderne un
regard lucide mais généreux et qui, surtout, parvient à éviter tout pittoresque
facile ou caricatural. Ni démagogie ni roublardise dans son propos, et nous
sommes là, et c’est tant mieux, à des années-lumière du détestable Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2008).
On regrettera donc que son film demeure obstinément superficiel et peine
d’autant plus à entraîner l’adhésion du public que ses deux interprètes
principaux, pour agréables à regarder qu’ils soient, manquent singulièrement de
saveur. Winterbottom nous a habitués à ce type de déception. Il nous doit donc
une revanche.
[1]
Disponible dans la collection Folio-Policier. Mais c’est l’ensemble des livres
de Jim Thompson qu’il faut lire, et notamment son chef-d’œuvre, 1275 âmes, également publié en
Folio-Policier.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire