18 juin 2012

Sincère mais superficiel.


Trishna, de Michael Winterbottom (2012).

            La carrière du britannique Michael Winterbottom ressemble un peu à celle de son compatriote Stephen Frears. L’un et l’autre sont des réalisateurs hyperactifs, travaillant aussi bien pour le cinéma que pour la télévision ; l’un et l’autre affichent aussi une production résolument hétéroclite et d’où toute unité semble avoir été volontairement bannie. La comparaison s’arrête cependant là : sans doute moins brouillon, maîtrisant à l’évidence mieux ses sujets, aussi divers soient-ils, Frears présente une filmographie d’une qualité impressionnante quand Winterbottom, peut-être plus enclin à prendre des risques en se lançant dans des aventures parfois aléatoires, aligne en revanche davantage d’échecs (ou, à tout le moins, de déceptions) que de réussites. Parmi celles-ci, citons le récent The Killer inside me (2010), excellente adaptation de l’excellent (et très noir) roman du grand Jim Thompson (Le Démon dans ma peau[1]). Et, plus lointainement, Jude (1996), transcription cinématographique du Jude l’Obscur de Thomas Hardy  --  auteur vers lequel il revient aujourd’hui en transposant son roman Tess d’Urberville dans l’Inde contemporaine.


            Evacuons tout de suite la question de la fidélité au roman. Winterbottom aurait tout aussi bien pu taire l’origine littéraire de son film tant il est vrai qu’il n’en a gardé que les (très) grandes lignes, et encore, confondant même dans un seul personnage Angel Clare, le romantique mais peu indulgent mari de Tess, et Alec d’Urberville, le jouisseur cynique qui l’a séduite et qu’elle finit par assassiner. Hardy n’y retrouverait donc guère ses petits et c’est surtout, pour ne pas dire uniquement, l’opposition entre classes sociales qui semble avoir surtout intéressé le cinéaste qui est aussi l’auteur du scénario. Opposition au moins autant marquée dans l’Inde d’aujourd’hui, violemment coincée entre tradition et modernité, que dans l’Angleterre victorienne du roman. Ainsi, modeste fille de la campagne, Tess devenue ici Trishna (Freida Pinto) se laisse-t-elle séduire par Jay (Riz Ahmed), fils d’un riche propriétaire d’une chaîne d’hôtels de luxe. Leur différence sociale les amène à entretenir peu à peu des relations de domination, pour lui, et de soumission, pour elle.

            Winterbottom mène son affaire de façon elliptique, sans insister particulièrement sur les événements les plus déterminants de l’histoire (la séduction de Trishna, sa grossesse et son avortement) ; le récit y gagne en fluidité et en rapidité ce qu’il perd en épaisseur romanesque  --  cette épaisseur romanesque qui était l’alpha et l’oméga du roman victorien. Aussi le film devient-il rapidement une sorte de documentaire romancé, pas inintéressant d’ailleurs, et assez enlevé, sur la vie quotidienne indienne, les misères de la vie à la campagne, le grouillement permanent des mégalopoles tentaculaires (Jaipur ou Bombay) ou encore  l’abîme social qui sépare riches et pauvres, puissants et misérables. Ce n’est guère qu’au moment où Jay commence à traiter Trishna à la fois en domestique et en prostituée, lui imposant une insupportable et humiliante domination sexuelle, que le film monte enfin en puissance jusqu’au meurtre final. Trop tard malheureusement pour réveiller l’intérêt du spectateur un peu anesthésié par l’absence, volontaire ou non, on ne sait, de toute dramatisation. Winterbottom, en introduisant ici et là de nouveaux personnages, laisse deviner des pistes susceptibles de relancer son récit, mais c’est pour les abandonner rapidement de façon tout à fait arbitraire. Qui plus est, on a bien du mal à croire à la métamorphose du personnage masculin  -- c’était évidemment le danger, que le cinéaste ne sait pas éviter, de confondre deux personnages aussi antagonistes que le sont Clare et d’Urberville dans le roman de Thomas Hardy. Une comparaison sur tous ces points avec l’adaptation, exemplaire il est vrai, de Roman Polanski est accablante pour Winterbottom.

            Il n’y a certes pas lieu de douter un instant de la sincérité d’un réalisateur qui jette sur l’Inde moderne un regard lucide mais généreux et qui, surtout, parvient à éviter tout pittoresque facile ou caricatural. Ni démagogie ni roublardise dans son propos, et nous sommes là, et c’est tant mieux, à des années-lumière du détestable Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2008). On regrettera donc que son film demeure obstinément superficiel et peine d’autant plus à entraîner l’adhésion du public que ses deux interprètes principaux, pour agréables à regarder qu’ils soient, manquent singulièrement de saveur. Winterbottom nous a habitués à ce type de déception. Il nous doit donc une revanche.



[1] Disponible dans la collection Folio-Policier. Mais c’est l’ensemble des livres de Jim Thompson qu’il faut lire, et notamment son chef-d’œuvre, 1275 âmes, également publié en Folio-Policier.

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