21 juin 2012

"Le trésor au pied de l'arc-en-ciel".


Adieu Berthe (L’Enterrement de mémé), de Bruno Podalydès (2012).

            Il y a parfois dans la vie des moments qui prêtent à sourire, voire à rire, de façon décalée et apparemment incongrue. La mort en fait partie, avec son cortège de rites et de passages obligés, et aussi parce qu’on sait que le rire reste le meilleur antidote contre la mort. Les frères Podalydès l’ont parfaitement compris qui, dans Adieu Berthe (discret clin d’œil au cher Francis Blanche, qui savait si bien débusquer humour et poésie loufoque là où on ne les attendait pas), s’en donnent à cœur joie, si l’on ose dire. Et nous font mourir de rire (mais pas seulement), ce qui, pas ces temps tristounets, est toujours bon à prendre.


            Ainsi donc, comme l’indique le sous-titre, c’est à l’enterrement de la mémé, une grand-mère oubliée dans sa maison de retraite, que nous convient les frères Podalydès, Denis (coscénariste et acteur) et Bruno (coscénariste et réalisateur et aussi acteur à l’occasion). Mais si la mort de Berthe est l’objet du film, elle  en est plus le prétexte que le sujet véritable que les deux compères préfèrent aller braconner dans les marges, là où on ne les attend pas toujours. Le récit, ne parlons pas d’intrigue, tourne autour d’Armand (Denys Podalydès), pharmacien à Chatou, affligé d’une maîtresse volcanique (Valérie Lemercier), d’une épouse aimante (Isabelle Candelier), d’un fils qui l’ignore (Benoît Hamon), d’une belle-mère qu’on rêve d’assassiner (Catherine Hiégel) et enfin d’un père gâteux (Pierre Arditi). On comprend que dans ces conditions le malheureux Armand se réfugie dans un esprit d’enfance qu’il parvient à retrouver ici ou là  --  quand il sillonne les rues sur sa patinette électrique par exemple, et plus encore en s’adonnant à la prestidigitation.

            Les Podalydès jouent alors admirablement sur deux tableaux à la fois, sachant trouver un parfait point d’équilibre entre une drôlerie volontiers burlesque d’un côté, et une poésie légèrement nonsensique, à la façon d’un Lewis Carroll, de l’autre. Le comique franc et massif, et qui réjouit fort les spectateurs (le film bénéficiera sans doute d’un excellent bouche à oreille), c’est à l’enterrement de la mémé proprement dit qu’ils le réservent, ou plutôt à toutes les démarches, cérémonies et rencontres que provoque un semblable événement. Avec le choix des pompes funèbres commence pour Armand un marathon aussi sinistre que réjouissant. D’abord sur internet, entre obsèques bios et promotions à prix cassés (« un cercueil acheté c’est un cercueil offert ») puis dans le monde réel avec des spécialistes de l’au-delà qui rivalisent d’invention dans la stratégie commerciale. Bruno Podalydès soi-même y joue un croque-mort flegmatique et débonnaire, sympathiquement empathique, spécialiste des obsèques pour animaux à l’enseigne d’Obsécool, concurrencé par un Michel Vuillermoz tendance gourou new age revue et corrigée par un Kubrick époque 2001, qui snobe son monde en en rajoutant dans la pédanterie funèbre sous les sombres couleurs de l’entreprise Définitif (« Avec Définitif, c’est définitif »). Rien à redire ici à une mécanique parfaitement huilée et surtout d’une grande finesse, qu’on aimerait rencontrer plus souvent dans un cinéma français où l’on se plaint (non sans raison d’ailleurs) que les comédies soient systématiquement oubliées à l’occasion de ces distributions des prix dont raffole la profession.

            Mais l’enterrement de la grand-mère se double d’une subtile étude de caractère(s) autour du personnage d’Armand, sorte de Pierrot lunaire merveilleusement interprété par Denys Podalydès (une de nos plus grandes pointures actuelles), incapable de choisir entre deux femmes qu’il aime également. Sans doute manque-t-il de cette maturité, de ce sens pratique qu’affiche sa caricaturale belle-mère et qu’exige la vraie vie. La prestidigitation apparaît alors pour lui comme l’unique et idéale porte de sortie  --  la traversée d’un miroir magique où il retrouve la candeur des enfants et celle des vieillards redevenus des enfants. Aussi choisit-il finalement de s’escamoter lui-même, de disparaître, comme Berthe disparaît pour rejoindre dans on ne sait quel au-delà le beau prestidigitateur (il n’y a pas de hasard) qui fut son premier et seul grand amour. Comment ne pas songer ici à la merveilleuse pièce de Eduardo de Filippo La Grande Magie, que par un hasard sans doute pas si hasardeux que cela Denis Poldalydès a joué à la Comédie Française il y a trois ans seulement ? Il n’y tenait pas le rôle du magicien, démiurge un peu cynique (c’était l’excellent Hervé Pierre), mais celui du naïf mari trompé dont la femme s’enfuit avec son amant quand le prestidigitateur la fait disparaître avant de persuader le mari qu’elle est enfermée dans une petite boîte où il ne la trouvera que s’il est convaincu qu’elle s’y trouve pour de vrai. Le mari préfèrera garder la boîte fermée, s’enfonçant dans « son illusion qui est désormais sa certitude »[1] et refusant même de reconnaître sa femme lorsque, repentante, elle reviendra vers lui. Alors, de la même façon, il y a fort à parier qu’à l’instant où le film s’achève et les personnages demeurent en suspens, Armand a lui aussi choisi de pénétrer dans la certitude de ses illusions et, comme l’écrit de Filippo à la fin de sa pièce, de trouver « le trésor au pied de l’arc-en-ciel ».



[1] Eduardo de Filippo, La Grande Magie, texte français de Huguette Hatem, « L’Avant-Scène Théâtre », n°801/802, 1er/15 janvier 1987.

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