6 mai 2012

Un jeu formel vain et prétentieux.


Miss Bala, de Gerardo Naranjo (2011).

            Vouloir prendre pour sujet la guerre meurtrière que se livrent cartels de la drogue et autorités mexicaines à Tijuana, ville en état de guerre permanente, c’est une excellente idée, de salubrité publique pourrait-on même dire. Faire du destin individuel d’une aspirante reine de beauté entraînée malgré elle dans la spirale du mal et de la violence une métaphore du Mexique otage d’un combat douteux entre policiers et malfrats, pourquoi pas. Choisir de filmer le tout en longs plans-séquences au plus près des personnages d’un point de vue purement «behaviouriste» et donc sans jamais fournir la moindre explication, c’est un pari risqué mais après tout respectable. Reste que pour faire tenir ensemble des ambitions aussi contradictoires, pour que la mayonnaise finisse par prendre en réunissant tant d’éléments disparates, pour que le public enfin y trouve son compte tant en termes de pur spectacle que de réflexion politique, il fallait tout à la fois force et rigueur, savoir-faire et humilité, des qualités que l’on ne trouve guère ici, sinon à l’état d’éclairs fugitifs (le temps d’une fusillade sauvage en pleine rue par exemple), disparus aussitôt qu’entrevus. Bref, pour dire les choses en raccourci, Gerardo Naranjo n’est pas Francesco Rosi, pas même le parfois clinquant Steven Soderbergh (celui de Traffic, 2000, qui traite du même sujet mais en infiniment mieux).


            Il y a en effet dans ce film une sorte de grand vide absolu  --  celui qui sépare la théorie de la pratique, le discours de la réalité, les intentions affichées de la réalisation concrète. Aussi la métaphore hautement revendiquée n’est-elle guère séparée de la démonstration appliquée que par un pas, que le cinéaste, co-auteur du scénario, franchit allègrement. Rien ne sera donc épargné à cette pauvre Laura (Stephanie Sigman, d’ailleurs très bien), jeune femme modeste fascinée par le strass et les paillettes de l’argent facile et qui, complice forcée  d’une bande de narcotrafiquants, devient le témoin privilégié d’une réalité apocalyptique que le cinéaste entend dénoncer. Mais cette accumulation d’événements destinés sans doute à informer le spectateur d’une situation qu’il ignore ou ne connaît que très superficiellement ne parvient jamais à se dégager d’une forme d’arbitraire qui en fait davantage ressortir la superficialité.

            Il faut dire que les partis-pris narratifs et esthétiques de Naranjo, loin d’arranger les choses, semblent vouloir les aggraver à plaisir. Adoptant le seul point de vue de Laura, le scénario demeure volontairement allusif et fragmentaire, voire carrément obscur, sans jamais s’intéresser à des personnages dont on n’a finalement que faire (un comble tout de même !) ni approfondir une intrigue qui reste désespérément floue  alors même qu’elle aurait mérité de plus amples développements. Que les choses soient claires : je n’en appelle nullement à je ne sais quel didactisme synonyme de lourdeur pédagogique. Mais on peut être intelligible sans être pour autant démonstratif, et je ne sache pas que Rosi fut jamais didactique dans ses films[1], même ceux en forme d’enquêtes, quand Naranjo, lui, sous ses dehors détachés (ou distanciés?), l’est indubitablement tout en demeurant à la surface des choses, sans jamais chercher à dépasser les seules apparences.

            Mais peut-être faut-il voir là une forme de cohérence avec des choix esthétiques qui eux aussi privilégient les seules apparences. Cinéaste plutôt habile sinon virtuose, Naranjo sacrifie finalement son récit à un maniérisme formel qui, pour être séduisant pendant le premier  quart d’heure, tourne rapidement court en ne se nourrissant bientôt plus que de sa propre inutilité narcissique. On ne connaît que trop ce type de cinéastes, grands spécialistes de l’esbroufe visuelle, qui répètent à l’envi : «Voyez comme je filme bien !» avant de finir par se dégonfler comme des baudruches après avoir fait illusion pendant plus ou moins longtemps. Je crains bien que ce film qu’on nous donne à voir aujourd’hui n’apparaisse demain que pour ce qu’il est : un jeu formel aussi vain que prétentieux.



[1] Dont je me permets de rappeler quelques titres particulièrement mémorables : Salvatore Giuliano (1961), Main basse sur la ville (Les Mani sulla citta, 1963), L’Affaire Mattei (Il Caso Mattei, 1972) ou encore l’excellentissime Cadavres exquis (Cadaveri Ecellenti, 1975).

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