2 mai 2012

Blockbuster ou série B? (2)


Avengers (The Avengers), de Joss Whedon (2011).

            Voilà un film qui pratique l’excès avec délectation et, comme il se doit, sans modération. Débauche de moyens techniques et financiers, inflation de super-héros, casting de grand luxe, escalade dans les destructions à côté desquelles les attentats du 11 septembre ne sont que de la roupie de sansonnet : on ne fait pas ici dans la demi-mesure. Reste à savoir si le résultat est à la hauteur des moyens  --  et de l’attente.


            Reconnaissons que le défi était d’importance pour Joss Whedon, auteur complet notons-le (il est à l’origine de l’histoire et signe scénario et mise en scène) et cinéaste quasiment débutant sur grand écran[1]. Réunir Iron-Man, Hulk, Captain America et Thor, en y ajoutant, pour le charme sans doute, Scarlett Johansson en Veuve noire qui castagne aussi sec que les rudes gaillards qui l’entourent ; donner à toute cette affaire un début de cohérence sous la forme d’une attaque d’extra-terrestres dirigée par un méchant tout droit sorti d’un univers d’heroic fantasy ; ajouter une légère dose de dénonciation politique stigmatisant la course aux armements et le cynisme de dirigeants prêts à sacrifier froidement d’entières populations, sans oublier un humour souvent bien venu, histoire de rappeler que tout ce petit monde ne saurait se prendre tout à fait au sérieux  --  tout cela tient indiscutablement d’un formidable exploit de super-héros.

            Alors, au bout du compte, après un spectacle où on en a indiscutablement pour son argent (c’est bien le moins compte tenu du budget : 220 millions de dollars), peut-on dire que Joss Whedon a réussi la mission qui lui a été confiée? Eh bien, par Thor, oui et non.

            Oui, parce que l’ensemble tient plutôt bien la route, mais à la condition expresse de ne pas chercher le pourquoi du comment d’une histoire réduite à peu de choses près à un canevas où seuls comptent les morceaux de bravoure, et le film n’en manque certes pas jusqu’à un final en forme de jeu vidéo survolté où une partie de Manhattan se retrouve à l’état de ruines fumantes. Mais non dans la mesure où Whedon a bien du mal à faire cohabiter autrement que de façon arbitraire sa demi-douzaine de super-héros qui n’ont d’autres fonction que de faire le coup de poing de la façon la plus spectaculaire possible. Le seul à dépasser les étroites limite de son personnage et  à lui donner une autre dimension, c’est Hulk ou plutôt (au repos) le docteur Banner, en grande partie grâce à l’excellent Mark Ruffalo, un des acteurs américains actuels parmi les plus intéressants. Les autres demeurent définitivement prisonniers des stéréotypes associés à leurs défroques, y compris Robert Downey Jr. qui, de Iron Man à Sherlock Holmes et retour répète à satiété son rôle de dandy cool, déjanté et plein d’humour.

            L’humour, justement, autre point positif à l’actif de Whedon qui sait écrire un dialogue et le pimenter de répliques qu’un Billy Wilder n’aurait pas reniées (ainsi ce rapide échange : « -- N’oubliez pas que c’est mon frère.  – mais il a tué quatre-vingts personnes en deux jours.  – Il a été adopté. » Mais, c’est la loi du genre me direz-vous, le brillant de l’écriture disparaît trop souvent sous une inflation d’effets pyrotechniques peut-être dommageables mais mathématiquement logiques : six super-héros au lieu d’un, ce n’est pas six fois plus d’action, mais pas loin.

            Saluons également la belle trouvaille, lors de l’attaque finale des extra-terrestres, de ces gigantesques créatures de ferraille, sortes de leviathans évoluant en plein ciel, qui renvoie à l’Apocalypse et pas indignes, sur le plan esthétique, de l’imagination d’un H.R. Giger  --  et d’ailleurs, puisque le nom de Giger me vient sous la plume, les extra-terrestres eux-mêmes ressemblent fort à ces aliens d’excellente mémoire dont Ridley Scott nous annonce pour très bientôt une prequel (Prometheus, sortie prévue pour la fin de ce mois).

            Difficile enfin, et surtout, devant ces super-héros réunis dans une même aventure, de ne pas songer à l’excellente bande dessinée de Alan Moore et Dave Gibbons, Les Gardiens (Watchmen[2]), où une brochette de super-héros se trouvait également convoquée mais dans une perspective autrement plus subversive, profonde et, pour tout dire, adulte, que celle proposée ici par Marvel Films. Comme chez Frank Miller donnant dans les années 80 une coloration volontairement très sombre aux aventures de Batman en bandes dessinées, on osait y remettre en question l’image conventionnelle des super-héros précipités cette fois dans un monde où les frontières entre le bien et le mal apparaissaient singulièrement brouillées.

            Il ne s’agit pas de reprocher ici à Whedon d’avoir préféré je ne sais quel académisme à une voie plus novatrice ; tels n’étaient assurément pas les termes de son contrat. Mais cette autre voie existe, Christopher Nolan l’a montré voici peu avec The Dark Night (2008), riche et féconde, et, me semble-t-il, infiniment plus stimulante. On peut la préférer à celle choisie ici.



[1] Il a beaucoup travaillé sur des séries télévisées et n’a signé qu’un seul long métrage de cinéma,  Serenity en 2005.
[2] Publié en six albums traduits par (excusez du peu) Jean-Patrick Manchette aux éditions Zenda (1987-88) et adaptés au cinéma par Zack Snyder en 2009.

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