1 mai 2012

Blockbuster ou série B? (1)


Lock Out, de James Mathers et Stephen Saint-Leger (2012).

            D’un côté, si vous le voulez bien, Avengers de Joss Whedon, dont je parlerai demain, production au budget mamouthesque de 220 millions de dollars, de l’autre Lock Out, curieux objet à l’origine incertaine et qui ne pèse que 30 millions de dollars, soit sept fois moins que l’autre, et au milieu, arbitres de cet affrontement imaginaire, le grand ancêtre Roger Corman, empereur de la série B d’antan, dont on sait combien l’inflation des budgets l’épouvante et le scandalise, et John Carpenter, lui aussi grand cinéaste de série B, mais d’une génération postérieure (il est né en 1948), qui n’a plus donné signe de vie depuis bien longtemps maintenant[1] et que Lock Out pille allégrement. Ne sacrifiant à aucune espèce de présupposés, je précise d’entrée de jeu que ni l’importance (ou la faiblesse) du budget d’un film, ni le choix d’illustrer un cinéma dit «de genre» (qu’on opposerait absurdement à un cinéma «d’auteur») ne sont pour moi des critères critiques recevables. Un blockbuster peut être un excellent film quand un film «d’auteur» sera mauvais, et inversement. Mais on l’a sans doute déjà compris.


            Commençons par Lock Out, sorti une semaine avant Avengers, qui illustre à merveille le syndrome «Canada Dry» qui voudrait que l’on soit tout autre chose que ce l’on est. Produit par le français Luc Besson, remake inavoué du New-York 1997 de John Carpenter (Escape from New-York, 1981), réalisé par deux jeunes cinéastes irlandais débutants, tourné en studio à Belgrade avec des comédiens anglo-saxons peu connus (donc moins chers, sauf peut-être l’excellent Guy Pearce, britannique installé en Australie) et pour un budget relativement modeste, voilà le type même de film en forme d’ersatz, ni tout à fait le blockbuster qu’il voudrait être, ni tout à fait la série B qu’il pourrait être selon les critères d’aujourd’hui. Un peu entre deux chaises, l’ensemble fonctionne pourtant plutôt bien, et l’on en est d’autant plus étonné que, soyons honnête, on y allait sans grande illusion, juste par curiosité malsaine et pour le plaisir toujours tentant de dire du mal de Luc Besson (!).

            Certes le scénario ne brille pas par son originalité (se targuer d’une idée de départ originale paraît très excessif pour ne pas dire plus), sans pour autant tomber dans cette légère débilité qu’on a pu lui reprocher. Les exemples ne manquent pas dans le cinéma américain de ces récits d’aventures (du western à la science-fiction) respectant la bonne vieille règle des trois unités (lieu unique : un pénitencier dans l’espace ; temps limité : quelques heures, après quoi ladite prison sera anéantie ; et « un seul fait accompli» : libérer la fille du président des Etats-Unis retenue en otage par des prisonniers révoltés) entre un prologue qui situe l’action et les personnages et un épilogue qui résout rapidement une intrigue secondaire nécessaire à l’action principale. Rien que de classique en somme (ou de déjà vu, diront les méchantes langues) mais qui fonctionne bien tout au long d’un récit qui ne prétend pas, lui, être autre chose que ce qu’il est. On sait bien, c’est la loi du genre, que les méchants seront confondus et les gentils récompensés, et ce côté conventionnel du film participe du plaisir de l’ensemble.

            Mais, outre la qualité assez bluffante des décors et de la photographie et le caractère plutôt classique et très peu clipeux de la mise en scène (bonne surprise), c’est le personnage de l’aventurier qu’interprète Guy Pearce, un certain Marion Snow (Marion parce que son père admirait John Wayne[2]) qui nous intéresse le plus par la dimension cinéphilique et hawksienne que les auteurs lui donnent et qui allie humour et professionnalisme. Le grand Howard Hawks aimait et excellait à plonger ses personnages masculins (tous très professionnels) dans des situations de danger extrême, comme le très archétypal shérif John T. Chance (John Wayne) dans le mythique Rio Bravo (1959)[3], des personnages éloignés de toute auto-complaisance mais cultivant lucidité et surtout humour  --  un humour qui se renforce en proportion de l’intensité du danger.

            Hawksien, Snow l’est aussi dans la relation qu’il entretient avec celle qu’il doit sauver, d’abord présentée comme un boulet, et qui s’affirme progressivement, par sa métamorphose physique et en participant à des actions habituellement réservées aux seuls hommes, jusqu’à devenir l’égale de Snow (le coup de poing en forme de boomerang qui conclue le film). Rien de plus hawksien que cette relation amoureuse faite de rivalité et de volontarisme où chacun trouve son équilibre et où «l’homme et la femme échangent leur force et leur vulnérabilité propre et s’accomplissent dans la protection mutuelle et la poursuite d’une action commune»[4].

            Alors, Lock Out, plaisir honteux, comme je l’ai lu quelque part ? Plaisir coupable, peut-être, au sens que Martin Scorsese donna jadis à ce terme[5] ? Plaisir tout court assurément, avec un film finalement plus malin qu’il ne le paraît.



[1] Depuis 2001 et Ghosts of Mars. Il a réalisé un film en 2011, The Ward/L’Hôpital de la terreur, qui n’est sorti en France  qu’en DVD. Signe des temps…
[2] Marion Robert Morrison, pour l’état civil, dit John Wayne.
[3] Est-ce un hasard si Carpenter, cinéaste ici grandement sollicité, a placé son début sous le patronage de Hawks ? Son second film, Assaut (Assault on Precinct 13, 1976), était une reprise assumée (mais non officielle) de Rio Bravo et dont il a assuré le montage sous le pseudonyme de… John T. Chance.
[4] Jean A. Gili, Howard Hawks, Collection Cinéma d’Aujourd’hui, Seghers, 1971, p.63.
[5] Martin Scorsese,  « Mes plaisirs coupables », article publié dans Film Comment, septembre-octobre 1978, et traduit dans Positif, n°241, avril 1981.

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