20 avril 2012

Un monde d'un autre temps.


Nouveau départ (We Bought a Zoo), de Cameron Crow (2011).

            Prenez pour commencer un homme encore jeune, du genre type sympa et copain idéal (c’est Matt Damon, très bien), qui vient de perdre son épouse à la suite d’une longue maladie et n’arrive pas à s’en remettre. Ajoutez ensuite deux beaux enfants adorables, surtout la petite fille mais aussi l’adolescent plus ombrageux qui cache une blessure intérieure sous les apparences de productions graphiques dans la manière de Tim Burton. Epicez l’ensemble avec une palanquée d’animaux plus ou moins sauvages mais très attachants malgré tout. Terminez par un zeste de charme très pudique avec une gardienne de zoo jolie comme un cœur (c’est Scarlett Johansson, très bien aussi) toute prête à consoler le veuf éploré. Mélangez tous ces ingrédients et vous obtenez, sur le papier, le pire scénario imaginable, un sirop d’orgeat qui vous soulève le cœur rien qu’à la lecture et qu’on a surtout envie de fuir à toutes jambes.

Eh bien, on aurait grand tort : en dépit de quelques moments d’émotion un peu trop sollicitée et d’un certain maniérisme dans des retours en arrière pas forcément nécessaires et assurément trop appuyés, Cameron Crow s’en tire plutôt bien. Et cela pour au moins deux raisons, la première tenant à des qualités de fabrication qu’on rougirait presque de souligner si elles ne manquaient pas trop souvent dans bon nombre de films que l’actualité nous propose chaque semaine ; quant à la seconde, c’est dans le scénario même qu’il faut aller la chercher  --  un scénario dont le sujet réel dépasse largement en intérêt le sujet apparent.


Qu’on le veuille ou non, qu’on en soit ravi ou marri, le cinéma est d’abord affaire de professionnels qui maîtrisent leur métier et ce film-ci le prouverait largement, même si son scénario se limitait aux clichés que j’ai (légèrement) caricaturés à l’ouverture de ce texte. C’est par ses qualités d’écriture, par des dialogues habiles et, surtout, des personnages secondaires bien dessinés et solidement campés par des acteurs irréprochables que le film échappe à la catastrophe annoncée. S’il n’était que cela, on aurait affaire à une comédie sentimentale bien venue, certes non exempte de défauts, mais qui tient bien la distance et la durée (au-delà de deux heures et sans longueurs), trouve un ton juste de comédie légère ponctuée de moments plus drôles et d’autres plus graves. Et ce ne serait déjà pas si mal.

Mais, à y regarder de plus près, on ne saurait limiter le film à une simple comédie sentimentale, et encore moins romantique  --  à la façon d’un véhicule, pas forcément désagréable d’ailleurs, pour Julia Roberts. L’amateur de péripéties amoureuses en sera d’ailleurs pour ses frais : un baiser fort chaste vers la fin du film et c’est à peu près tout, même si l’on peut imaginer des suites plus tangibles  --  mais rien n’est sûr : c’est sur l’image décidément ineffaçable de l’épouse disparue que le film s’achève.

Car, bien que reposant sur une histoire vraie (encore que sérieusement arrangée semble-t-il), le film reprend l’esprit de la fable et s’inscrit en fait, et c’est son vrai sujet, dans la tradition d’un populisme américain[1] qu’illustra en son temps un Frank Capra et qui exalte la poursuite du bonheur, l’ambition et la réussite individuelle tempérée d’humanité, des relations sociales apaisées où le mieux pourvu aide le plus défavorisé, un optimisme toujours triomphant même si parfois menacé, des valeurs enfin où l’honnêteté, le travail, la droiture et la vertu seraient finalement récompensés. On aurait bien du mal à trouver le moindre défaut à ce Bernard Mee qui décide un  jour d’acheter un zoo à l’abandon pour offrir à sa fille, dit-il, une «authentique expérience américaine». Ayant ainsi découvert son Shangri-la[2], rien ne l’arrêtera dans son entreprise et quand un coup du sort paraît devoir tout remettre en cause (manque d’argent ou pluie diluvienne), un miracle se produit et tout redevient possible.

Capra croyait aux miracles (son dernier film, qui va être réédité en salle très prochainement, s’intitule Pocketful of Miracles[3], 1961) comme il croyait aux petites communautés soudées et enthousiastes semblables au groupe pittoresque, hétéroclite mais uni qui entoure Bernard Mee. Loin de la ville (il faut parcourir 28 kilomètres pour acheter une demi-livre de beurre) et de ses possibles dangers, il relance le grand rêve agrarien de la pastorale américaine en redonnant vie à une sorte d’arche de Noé à ciel ouvert. Et se heurte, là encore comme un héros de Capra, à un de ces représentants de l’état centralisé que déteste la tradition populiste. Mais l’inspecteur tatillon, même s’il refuse de «fraterniser», donnera l’autorisation d’ouverture et si, comme le dit la petite fille, tout le monde pense que l’individu est un «mauvais con», elle prétend ne pas en croire un mot du haut de sa sagesse enfantine[4].

C’est que dans ce monde d’un autre temps il ne saurait y avoir de vrais «méchants» puisque les «méchants», fussent-il des gangsters (comme dans Pocketful of Miracles), peuvent aussi manifester une gentillesse désarmante et trahir un cœur d’or, et que les incrédules et les sceptiques, comme le frère de Bernard (Thomas Haden Church, lui aussi très bien) finissent par se convertir à la bonne cause, soulignant davantage encore l’optimisme général du propos. Rien d’étonnant dès lors que tout s’achève par la réussite de Bernard et des siens avec des visiteurs ravis qui les félicitent et les remercient dans un bel élan unanimiste, la caissière (noire) de grande surface congratulant le chef (blanc) de l’entreprise  familiale. Sentimentalité et nostalgie, qui vont souvent de pair, l’emportent donc finalement dans une sorte d’Amérique idéalisée où l’on peut mener une vie meilleure et plus pure. Une Amérique où, dans une grande «image consensuelle et unificatrice»[5], on peut avoir foi en ses voisins, ceux que le personnage de la «girl next door» qu’interprète (encore très bien) Elle Fanning appelle à la fin du film «the people» comme en écho à ces mots que les Pères fondateurs inscrivirent en préambule à la Constitution  --  «We, the People of the United States»[6].



[1] Rien à voir avec le populisme tel qu’on l’entend en Europe. Il s’agit d’une opposition (menée entre autres par Jefferson avec son parti démocrate-républicain) à un Fédéralisme au pouvoir centralisé et fort, et favorable notamment  à une industrialisation importante du pays. A l’origine du populisme, les démocrates-républicains, appelés aussi républicains jeffersoniens, voulaient promouvoir une république de petits propriétaires fermiers.
[2]Dans le film de Frank Capra Les Horizons perdus (Lost Horizon, 1937, d’après un roman de James Hilton), Shangri-la est le nom d’une vallée secrète dans les montagnes du Tibet où la vie est prolongée indéfiniment dans une atmosphère de sagesse absolue où l’on ignore la richesse, le succès ou les querelles de pouvoir.
[3]Titre français, moins significatif : Milliardaire pour un jour. En revanche, une fois n’est pas coutume,  Nouveau départ me paraît plus conforme à l’esprit du film que son titre original assez plat.
[4] L’importance du regard enfantin et surtout de l’esprit d’enfance sont au cœur de l’univers de Capra.
[5] Elise Marienstras, Nous, le Peuple. Les origines du nationalisme américain, Bibliothèque des Histoires, Gallimard, 1988, p.10.
[6] « Nous, le Peuple des Etats Unis ».

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