30 avril 2012

Un "Carnage" au petit pied.


Le Prénom, de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière (2012).

            C’est Edward Albee, me semble-t-il, avec Qui a peur de Virginia Woolf ? en 1962, qui est plus ou moins à l’origine d’une sorte de sous-genre théâtral où une poignée de personnages s’affrontent dans un règlement de comptes à huis-clos en forme de révélateur social et/ou affectif. Riches en dialogues qui se doivent d’être brillants et en échanges caustiques, «véhicule» rêvé pour monstres sacrés en tous genres, ce type de pièces a connu nombre de bonnes fortunes cinématographiques (en dépit de ou peut-être grâce à son caractère éminemment non-cinématographique), de Qui a peur de Virginia Woolf ? précisément, adapté par Mike Nichols en 1966 où le couple Burton se déchirait à l’écran comme dans la vie, jusqu’au récent Carnage de Roman Polanski (grand amateur de huis-clos), d’après une pièce de Yasmina Reza (Le Dieu du carnage), elle-même spécialiste du genre (Art relève du même type de démarche).


            La recette en est simple. Choisissez d’abord un sujet, aussi insignifiant soit-il (il est même bon qu’il soit insignifiant), qui peut provoquer une discussion ou un désaccord  --  un tableau abstrait acheté à prix d’or, une bagarre entre enfants ou, comme ici, le choix d’un prénom. Une fois l’affrontement lancé, d’une idée à une autre où les mots trahiront bientôt les pensées les mieux dissimulées, toute inhibition tombée, laissez les choses s’envenimer et il suffit ensuite de savoir doser la montée de la tension pour obtenir une sorte de cocktail détonnant à multiples rebondissements. Adapté de la pièce de théâtre homonyme due aux mêmes auteurs et montée voici peu par Bernard Murat, Le Prénom respecte à la lettre le cahier des charges et même si le film ne manque pas de faiblesses, l’impression d’ensemble reste bonne.

            On se retrouve donc dans l’appartement de Pierre (Charles Berling) et Elisabeth (Valérie Benguigui), tous deux enseignants, elle dans le secondaire, lui dans le supérieur, qui reçoivent le frère d’Elisabeth, Vincent (Patrick Bruel), agent immobilier tendance bling-bling, et sa compagne Anna (Judith El Zein), businesswoman affairée et toujours en retard. Plus Claude (Guillaume de Tonquédec), ami musicien à l’humeur généralement consensuelle. Anna étant enceinte, c’est le choix du prénom de l’enfant à venir qui lance la prise de bec et ouvre les hostilités. A partir de là, de plaisanteries plus ou moins fines en vacheries sournoises, tout ce beau monde finit par s’écharper dans un grand déballage pas toujours souriant même si on rit beaucoup. De petites hypocrisies jettent le masque tandis que de grandes rancœurs se donnent libre court dans un jeu de massacre où se conjuguent agressivité refoulée et vérités embarrassantes. C’est l’occasion pour les auteurs de dénoncer quelques travers de l’époque, des intellectuels bobos donneurs de leçons aux nouveaux riches qui pratiquent le 4X4 sur les pentes de la rue de la Montagne Saint-Geneviève. Ils le font bien, autant dire avec pertinence et drôlerie, d’une drôlerie un peu jaune, et c’est tant mieux, mais sans cette démagogie poujadiste qui rendrait les personnages méprisables. Regrettons seulement que tout le monde rentre trop facilement dans le rang à l’issue d’un final un peu trop convenu en dépit d’une chute amusante.

            Ce type de spectacle, aussi bien à la scène qu’à l’écran, exige une virtuosité certaine dans l’écriture (c’est ici le cas) et surtout une équipe d’acteurs qui ne manquent pas d’abattage. Tous ici (les mêmes qu’au théâtre, sauf Berling) sont excellents et jouent leur partition avec délectation dans des rôles particulièrement porteurs. Le bémol, puisque bémol il y a, tient à la faiblesse de la mise en scène qui se contente d’enregistrer le spectacle sans grande imagination et même parfois avec patauderie. Soucieux de ne pas être accusés de faire du théâtre filmé, les auteurs «aèrent» plus que maladroitement leur film à coup d’inutiles retours en arrière. Le prologue (très drôle, soit dit en passant) et l’épilogue, situés l’un et l’autre en dehors de l’appartement, auraient largement suffi ; pour le reste, dans ce genre d’entreprise, l’atmosphère volontiers étouffante du huis-clos doit au contraire constituer un atout et gagne même à être renforcée  --  ce n’est qu’affaire de mise en scène. Ce qu’a parfaitement compris Polanski pour Carnage. Mais il est vrai que la comparaison entre les deux films, surtout quand on considère la perfection de la mise en scène polanskienne, expédie ce film au tapis (puisque pugilat il y a), bon pour le compte.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire