23 avril 2012

Portrait d'un petit voleur.


L’Enfant d’en haut, d’Ursula Meier (2012).

            Il y a quelque chose de foncièrement arbitraire dans ce qui paraît être à première vue, mais avec une évidence trop schématique pour ne pas être trompeuse, le choix d’Ursula Meier, jeune cinéaste franco-suisse : opposer symboliquement l’en haut à l’en bas, c'est-à-dire le monde élevé des riches stations de sports d’hiver suisses et les cités prolétaires qui peupleraient les vallées et seraient concentrées dans des tours de grande hauteur. Ironiques tours et détours de l’en haut et de l’en bas et, pourrait-on croire, de la lutte des classes.


            Mais la cinéaste joue très bien son coup et à peine a-t-elle installé son opposition géographico-manichéenne qu’elle la détruit : il n’y a pas les méchants nantis d’en haut et les gentils défavorisés d’en bas  --  d’ailleurs, le personnage de la sœur et de son copain mis à part, on voit fort peu de représentants de l’en bas, sinon une petite équipe de gamins pittoresques ; et la description de l’en haut, à un substitut de figure maternelle près (interprétée par Gillian Anderson, la Scully de la série X-Files), s’attache surtout à des travailleurs saisonniers finalement pas très sympathiques.

            Ce qui intéresse Ursula Meier et dont elle fait le sujet de son film, c’est le portrait de celui qui va d’un lieu à un autre, cet étrange go-between, petit voleur d’une douzaine d’années en quête d’identité, ni vraiment du haut ni vraiment du bas, ni vraiment frère ni vraiment fils, qui vit d’expédients, objets dérobés en haut (skis, bonnets, gants, lunettes) et  revendus en bas. Personnage hautement improbable, que seule l’étonnante performance de son très jeune interprète (Kacey Mottet Klein) rend crédible. Il faut le voir organiser son affaire avec toute l’habileté d’un vieux professionnel, vanter son matériel avec la faconde d’un bonimenteur de place publique ou faire la leçon à sa sœur (Léa Seydoux) qu’il dépasse en maturité, sinon en taille, de la tête et des épaules. Et c’est précisément sur ses frêles épaules, on l’aura compris, que tout le film repose.

            Tout cela est bel et bon et parfois même réussi mais souligne en même temps les limites d’une entreprise ni toujours achevée ni totalement convaincante, qui pâtit d’un scénario qui finit par se répéter et manque de tension dramatique, à l’exception d’un seul moment (dont je tairai le contenu) qui cependant, loin de relancer l’intérêt, finit par faire assez vite long feu. On se heurte là à cette constante d’un certain cinéma dit «d’auteur»[1] qui néglige l’écriture du scénario pour mieux saisir (pense-t-on) la vérité de l’instant présent dans une sorte d’approche néo-réaliste d’où toute péripétie voire toute construction un peu rigoureuse paraît devoir être bannie au profit d’une vérité jugée supérieure.

            Ainsi les scènes se suivent-elles, certaines plus fortes et plus réussies que d’autres, notamment celle, en tous points admirable, où l’enfant paie sa sœur-mère pour dormir près d’elle, exceptionnel moment de tension et d’émotion. On comprend bien que le récit se veut métaphorique plutôt que platement réaliste, ce qui est bien, mais une métaphore de quoi, on serait bien en peine de le dire. Récit en forme de conte, ai-je lu ici et là, où il serait question du Petit Poucet et de ses mésaventures avec l’ogre (le personnage du chef cuisinier qu’interprète Jean-François Stévenin), référence qui renvoie ce film-ci au Winter’s Bone de Debra Granik qui imaginait aussi un personnage de sœur-mère confrontée dans une bal(l)ade initiatique à l’univers des adultes vu sous l’angle des contes et de leur cortège de monstres et de sorcières. La comparaison est évidemment écrasante pour Ursula Meier, dont la sincérité n’est pas en cause, mais qui cède comme tant d’autres avant elle au terrorisme de ce cinéma dit «d’auteur», j’y reviens, qui, depuis la nouvelle vague (Resnais mis à part, mais il est vrai qu’il n’a jamais appartenu à la nouvelle vague), flirte trop souvent avec l’amateurisme au nom de la  spontanéité et considère que le respect des plus élémentaires règles de techniques narratives et cinématographiques[2] ne peut aboutir qu’à une forme d’académisme intolérable. La minceur de son propos, qui aurait gagné à être resserré aux dimensions d’un moyen métrage, oblige la cinéaste à diluer son récit et à multiplier les scènes réputées «signifiantes», comprenez : enracinées dans le soi-disant réel  --  alors même que le film se veut métaphorique.

            Tout cela est d’autant plus regrettable qu’Ursula Meier affirme au surplus de vraies qualités dans sa direction d’acteurs (et pas seulement avec le jeune Kacey Mottet Klein) et que l’idée de départ de son film ne manque pas d’intérêt et aurait mérité à coup sûr un meilleur traitement. Un traitement de professionnel sans doute.



[1] Il faudra bien un jour arrêter de parler de  «cinéma d’auteur»  --  concept qui n’a en soi aucun sens et qu’on utilise en opposition à un cinéma dit «commercial» dont la production hollywoodienne serait l’archétype éventuellement honni. En caricaturant un peu (mais à peine), Ford, Hawks, Walsh ou Mankiewicz ne seraient pas des auteurs (sinon après leur mort) mais d’habiles faiseurs quand n’importe quel bricoleur (généralement européen) tournant n’importe quoi n’importe comment en serait un.
[2] Quand je lis dans la presse des commentaires sur la «superbe photo» du film, je m’interroge sur les connaissances techniques d’une partie de la critique  --  ou sur l’influence du copinage, qui sait ?

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