5 avril 2012

Marilyn et moi.

My Week with Marilyn, de Simon Curtis.

            Marilyn Monroe, mythe, légende, icône: il n’y a guère d’autre exemple d’une star ayant été élevée si haut et si longtemps au firmament du cinéma américain. A quoi tient cette bonne fortune posthume, rançon cynique d’une existence personnelle tragique ? Sans doute à   la nature même de cette existence, aussi brillante que météoritique, à cette beauté charismatique que tempère une vie sentimentale largement insatisfaisante, à cette destinée fracassée contre le rêve américain métamorphosé en cauchemar climatisé, à l’envers sombre d’apparences illusoires où se télescopent addictions violentes, psyché en morceaux et relations troubles  --  avec les Kennedy notamment, eux-mêmes tout aussi mythiques et équivoques. Bref, cinquante ans tout juste après sa mort (le 5 août 1962 à 36 ans), et en dépit d’une carrière finalement rien moins qu’exceptionnelle[1], Marilyn Monroe demeure plus que jamais un mythe, une légende, une icône, peu importe le terme, à coup sûr l’actrice américaine la plus célèbre du monde sinon la meilleure, celle qui nourrit encore l’imaginaire collectif occidental comme en témoignent les livres (essais, biographies ou romans), les films ou les hommages qui lui sont régulièrement consacrés.

            Ainsi nous propose-t-on aujourd’hui avec My Week with Marilyn une sorte de biopic pas très convaincant mais non dénué d’un certain charme qui tient à cette élégance un peu contrainte mais confortable, façon «house and garden», dont un certain cinéma britannique détient encore le secret. Le scénario relate le tournage en Angleterre du film de Laurence Olivier Le Prince et la danseuse (The Prince and the Showgirl, 1957) raconté par le troisième assistant-réalisateur, Colin Clarke (Eddie Redmayne), qui découvre à la fois le monde du cinéma et vit une rapide et platonique éducation sentimentale avec une Marilyn Monroe dont le comportement erratique menace en permanence le tournage du film.


            Ce n’est assurément pas le portrait ici proposé de Marilyn Monroe qui ajoutera beaucoup à sa gloire et encore moins à sa compréhension. S’inspirant de deux livres écrits par Colin Clark lui-même à propos du tournage du Prince et la danseuse[2], le scénario enfile comme à plaisir les clichés les plus éculés concernant l’actrice sans chercher à les dépasser et encore moins à essayer d’analyser la nature du mythe. Peut-être le matériau littéraire d’origine offrait-il la même absence d’originalité, mais fallait-il pour autant le suivre aussi servilement et dérouler d’un bout à l’autre du film une intrigue sentimentalo-psychologisante tellement convenue qu’on en devine à l’avance toutes les (modestes) péripéties? Quant à Michelle Williams, parfaite dans le mimétisme, elle ne parvient évidemment pas à incarner le mythe, et comment aurait-elle pu d’ailleurs relever cet impossible défi? Miroir d’elle-même, Marilyn Monroe n’existe que par elle-même et pour elle-même, uniquement, intrinsèquement et indépendamment des films où elle apparaît et des metteurs en scène qui la dirigent (ou tentent de la diriger)  --  même quand ils s’appellent Billy Wilder, Otto Preminger, Howard Hawks, John Huston ou George Cukor. Ce n’était pas une comédienne exceptionnelle mais elle avait, pour le meilleur et pour le pire, ce quelque chose en plus qui élève une banale actrice à la hauteur du mythe.

            Là où le film convainc davantage, c’est dans la description d’un tournage, certes rendu pittoresque par les frasques de sa vedette principale, mais fascinant malgré tout et qui inscrit My Week with Marilyn dans la longue tradition (de Show People, de King Vidor, en 1928, à The Artist aujourd’hui, en passant par La Nuit américaine, de François Truffaut, 1973) de cette sorte de genre à soi seul qu’illustre «le cinéma au miroir». Le travail sur le plateau, les discussions autour des rushes, les rivalités entre acteurs  --  autant d’éléments que le film donne à voir avec amusement et recul, et c’est peut-être là qu’il est le plus juste et le plus profond. Dans les relations qu’entretiennent l’actrice et sa coach, Paula Strasberg, farouche gardienne des règles de la «Méthode»[3], ou quand à propos du couple que forment Monroe et Olivier, quelqu’un remarque avec justesse que l’une est une star qui veut devenir une grande actrice et que l’autre est un grand acteur qui veut devenir une star. Kenneth Branagh, particulièrement à son aise dans le cabotinage, tire dans ce sens le personnage de Laurence Olivier et lui donne dans un jeu de miroirs inattendu (mais, tout compte fait, assez logique) l’apparence et les tics de Laurence Olivier lui-même jouant dans Le Limier, de Joseph Mankiewicz (Sleuth, 1972), un autre personnage de monstre sacré manipulateur[4].

            C’est donc paradoxalement quand il s’éloigne le plus de Marilyn et de son mythe que le film emporte l’adhésion, bien épaulé par quelques excellents représentants du gratin des acteurs britanniques (Judi Dench, Dominic Cooper, Derek Jacobi, Toby Jones). Ce n’était peut-être pas le but recherché mais qu’importe puisque, au bout du compte, le spectateur y trouve son compte.



Post-scriptum. On trouvera dans le dernier numéro de Polka, l’excellent magazine du photojournalisme (n°17, mars-avril 2012), quelques unes des photographies de Marilyn Monroe faites par Eve Arnold entre 1952 et la mort de l’actrice. Eve Arnold (morte il a à peine trois mois à l’âge de 99 ans) appartenait à l’agence Magnum et, avec huit autres photographes de l’agence (dont Henri Cartier-Bresson et Eliott Erwitt[5]), elle fut autorisée à suivre de bout en bout le tournage des Misfits (Les Désaxés, John Huston, 1961). Un livre en a été tiré : « The Misfits ».Chronique d’un tournage par les photographes de Magnum. Editions Cahiers du Cinéma, 1999.



[1] Sur les vingt-huit films qu’elle a tournés, elle n’apparaît en vedette que dans douze d’entre eux, à partir de Troublez-moi ce soir/Don’t Bother to Knock, une série B de Roy Baker, en 1952. Elle a certes tourné sous la direction de cinéastes majeurs, mais pas forcément dans leurs meilleurs films (on a ainsi connu Hawks en meilleure forme que pour Les Hommes préfèrent les blondes/Gentlemen Prefer Blondes, et on pourrait en dire autant du Preminger de La Rivière sans retour/River of No Return ou du Cukor du Milliardaire/Let’s Make Love). Seul peut-être Billy Wilder, qui aimait se moquer d’elle avec tendresse, a su véritablement exploiter ses qualités de comédienne (dans le registre de la comédie).
[2] The Prince, the showgirl and me: the Colin Clark Diaries (1995) et My Week with Marylin (2000).
[3] La «Méthode», inspirée des théories de Stanislavski, a été mise au point par Lee Strasberg, le mari de Paula, dans le cadre du célèbre «Actors Studio» de New-York. Strasberg y a formé Marlon Brando, James Dean, Montgomery Clift, Paul Newman, Al Pacino et beaucoup d’autres. Il a également travaillé très étroitement avec Elia Kazan. D’où la réplique où il est dit que Laurence Olivier ne supporte plus la «Méthode» depuis que sa femme Vivien Leigh a tourné avec Kazan (pour Un Tramway nommé désir/A Streetcar Named  Desire, 1951).
[4] Branagh, histoire de démultiplier encore un peu le jeu de miroirs, a réalisé lui-même un remake (plutôt réussi d’ailleurs) de Sleuth en 2007, avec Michael Caine reprenant le rôle de Laurence Olivier dont il avait été le partenaire dans la version de Mankiewicz.
[5] Ce grand photographe à l’humour énorme et caustique est l’auteur de la célèbre série de photos (en marge de Sept ans de réflexion/The Seven Year Itch, Billy Wilder, 1955) de Marilyn Monroe la jupe soulevée par un courant d’air. Deux d’entre elles figurent dans le même numéro de Polka (p.137) et dans une exposition que propose jusqu’au 19 mai la galerie Polka, 12 rue Saint-Gilles à Paris. Cliquez ici et elles apparaîtront.

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