10 avril 2012

Etrange bestiaire (1).

The Plague Dogs, de Martin Rosen (1982).

            Ces derniers jours, deux films m’ont ramené, chacun à leur manière (joyeuse pour l’un, sombre pour l’autre), bien des années en arrière, à ces jours anciens où je guettais avec impatience les dernières livraisons de Tintin (ligne claire, école de Bruxelles) et de Spirou (ligne sombre, école de Marcinelle) chez le marchand de journaux du coin de la rue, et à ces jours plus anciens encore où mes parents devaient me faire quitter en catastrophe le cinéma qui projetait le Bambi de Walt Disney, hurlant et éploré que j’étais après l’assassinat de la mère de Bambi par les chasseurs. J’en ai conservé jusqu’à ce jour un fort tropisme animalier et une méfiance non moins forte à l’égard des chasseurs[1]. Bref, entre nostalgie et douleur enfantine, The Plague Dogs et Sur la piste du marsupilami, dont je parlerai demain, étaient faits pour moi.


            Trente ans et tout un monde séparent ces deux films et quand Alain Chabat joue la carte de l’humour volontiers déjanté, Martin Rosen, lui, scrute la folie humaine à travers la grande évasion de deux chiens échappés d’un centre de soi-disant recherches scientifiques où ils ont été sauvagement maltraités comme beaucoup d’autres animaux qui finissent en général dans un grand incinérateur. Réalisé en 1982, le film, qui sort aujourd’hui plus que discrètement (une salle à Paris, une salle à Toulouse : difficile de rivaliser avec les 971 salles du marsupilami !), n’a jamais trouvé son public, et pour cause : absolument pas fait pour les enfants, il n’a pas retenu l’attention des adultes qui considéraient dans ces années-là le cinéma d’animation comme relevant essentiellement d’un public enfantin. Il faut ajouter au surplus que le film, adapté d’un roman de Richard Adams[2],  propose une vision du monde particulièrement noire et rien moins qu’aimable. La fuite des deux chiens (Rowf, le labrador, et Snitter, le fox-terrier) n’est d’ailleurs nullement présentée comme une échappée lyrique ou un retour vers la nature idyllique d’une sorte de paradis perdu. Outre que Rowf hésite à s’échapper, ignorant ce que l’extérieur leur réserve (bon signe de lucidité), une fois dehors commence le combat pour la survie, tant il est vrai que ces «animaux dénaturés» ont appris à vivre dans la dépendance des hommes. Snitter, dont les «blouses blanches» (comme ils les appellent) ont soumis le cerveau à de cruelles expériences, ne rêve d’ailleurs que d’une chose : retrouver un maître, un bon, un vrai maître, promesse de caresses et de coin du feu. Mais abandonnés à eux-mêmes sur la lande du Lake District, dans le nord-ouest de l’Angleterre, les deux chiens doivent redevenir sauvages et tuer des moutons pour se nourrir. Aidé par un renard rusé qui y laissera la peau, ils n’échappent aux chasseurs locaux et à leurs chiens que pour se retrouver traqués par l’armée : on les soupçonne en effet d’être porteurs d’un virus de la peste bubonique secrètement cultivé par les apprentis-sorciers du laboratoire. Ils finiront, dans une émouvante pirouette métaphorique, par se jeter à la mer en quête d’une île imaginaire où ils pourront enfin vivre heureux et en paix.

            On voit que le propos ne brille guère par son optimisme mais s’inscrit au contraire dans la tradition de l’anti-utopie[3] qui porte par définition la marque de son époque dont elle veut être le noir reflet. Ainsi, dans ce film vieux de trente ans et à la technique d’animation un peu vieillotte,  parle-t-on déjà d’écologie et de souffrance animale, de science sans conscience et de mensonges d’état, mais sans manichéisme ni anthropomorphisme. Le monde animal n’est nullement présenté comme un idéal à atteindre mais au contraire comme un milieu hostile aux bêtes elles-mêmes et, parmi les hommes, des voix s’élèvent, qui dénoncent les ravages du complexe militaro-scientifico-industriel et s’émeuvent du sort réservé aux animaux. Des voix qu’il n’est pas mauvais d’écouter encore aujourd’hui et peut-être d’entendre enfin.



[1] De même qu’André Franquin qui s’est attaqué à la chasse et aux chasseurs à l’époque des « idées noires ».
[2] Richard Adams, Les Chiens de la peste, Belfond, 1982. Adams est aussi l’auteur de l’excellent Watership Down (Les Garennes de Watership Down, Flammarion, 1976), adapté également sous forme de dessin animé par le même Martin Rosen en 1978.
[3] A la façon d'Aldous Huxley ou de Goerge Orwell. On songe particulièrement à La Ferme des animaux d’Orwell, adaptée en dessin animé par John Halas et Joy Batchelor en 1954, ou encore à La Planète des singes, le roman de Pierre Boulle, et à sa dernière très bonne mouture cinématographique (La Planète des singes : les origines/Rise of the Planet of the Apes, Rupert Wyatt, 2011), sorte de prequel qui va jusqu’au bout du délire scientifique et annonce l’autodestruction programmée  de l’espèce humaine.

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