30 avril 2012

Un "Carnage" au petit pied.


Le Prénom, de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière (2012).

            C’est Edward Albee, me semble-t-il, avec Qui a peur de Virginia Woolf ? en 1962, qui est plus ou moins à l’origine d’une sorte de sous-genre théâtral où une poignée de personnages s’affrontent dans un règlement de comptes à huis-clos en forme de révélateur social et/ou affectif. Riches en dialogues qui se doivent d’être brillants et en échanges caustiques, «véhicule» rêvé pour monstres sacrés en tous genres, ce type de pièces a connu nombre de bonnes fortunes cinématographiques (en dépit de ou peut-être grâce à son caractère éminemment non-cinématographique), de Qui a peur de Virginia Woolf ? précisément, adapté par Mike Nichols en 1966 où le couple Burton se déchirait à l’écran comme dans la vie, jusqu’au récent Carnage de Roman Polanski (grand amateur de huis-clos), d’après une pièce de Yasmina Reza (Le Dieu du carnage), elle-même spécialiste du genre (Art relève du même type de démarche).

28 avril 2012

Tant de noirceur.


Tyrannosaur, de Paddy Considine (2011).

            Curieux objet que ce film rien moins qu’aimable mais d’une force peu commune. Courageux aussi tant il prend le spectateur à rebrousse-poil tant par l’absolue noirceur du récit que par son refus ostensible de toute récupération sociale ou politique. Impossible ici de s’identifier à des personnages que Paddy Considine, dont c’est le premier film étonnant de maîtrise, cherche à comprendre mais sans doute pas à faire aimer. On ne manquera évidemment pas d’évoquer au passage le cinéma de Ken Loach alors que c’est plutôt du côté du Harry Brown de Daniel Barber (fugitivement sorti début 2011) qu’il faut, si l’on y tient, aller chercher une parenté.

27 avril 2012

Travailler jusqu'à ce que mort s'en suive.


Les Jours comptés (I Giorni contati), d’Elio Petri (1962).

            Il aura fallu exactement cinquante ans pour que Les Jours comptés, deuxième réalisation d’Elio Petri, arrive jusqu’à nous. On connaît surtout Petri pour deux films qui eurent leur heure de gloire au tout début des années 70, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto, 1970) et La Classe ouvrière va au paradis (La Classe operaia va in paradiso, 1971, Palme d’or à Cannes en 1972). Interprétés par un Gian Maria Volontè tonitruant et réalisé dans un style plutôt insistant et ne reculant jamais devant les effets les plus voyants, ils illustraient l’un et l’autre ce cinéma fortement politisé qui, sans mauvais jeu de mot, explosa dans l’Italie des années 70. Petri, lui-même très engagé à gauche, mena une ultime charge  en  1977 contre la démocratie-chrétienne et Aldo Moro (c’était avant son enlèvement et son assassinat) avec Todo Modo, adaptation d’un roman de Leonardo Sciascia, également interprété par un Volontè ultra-cabotin. Puis sa carrière tourna court jusqu’à sa mort prématurée des suites d’un cancer en 1982, à cinquante-trois ans  --  l’âge exact de son personnage des Jours comptés.

23 avril 2012

Portrait d'un petit voleur.


L’Enfant d’en haut, d’Ursula Meier (2012).

            Il y a quelque chose de foncièrement arbitraire dans ce qui paraît être à première vue, mais avec une évidence trop schématique pour ne pas être trompeuse, le choix d’Ursula Meier, jeune cinéaste franco-suisse : opposer symboliquement l’en haut à l’en bas, c'est-à-dire le monde élevé des riches stations de sports d’hiver suisses et les cités prolétaires qui peupleraient les vallées et seraient concentrées dans des tours de grande hauteur. Ironiques tours et détours de l’en haut et de l’en bas et, pourrait-on croire, de la lutte des classes.

20 avril 2012

Un monde d'un autre temps.


Nouveau départ (We Bought a Zoo), de Cameron Crow (2011).

            Prenez pour commencer un homme encore jeune, du genre type sympa et copain idéal (c’est Matt Damon, très bien), qui vient de perdre son épouse à la suite d’une longue maladie et n’arrive pas à s’en remettre. Ajoutez ensuite deux beaux enfants adorables, surtout la petite fille mais aussi l’adolescent plus ombrageux qui cache une blessure intérieure sous les apparences de productions graphiques dans la manière de Tim Burton. Epicez l’ensemble avec une palanquée d’animaux plus ou moins sauvages mais très attachants malgré tout. Terminez par un zeste de charme très pudique avec une gardienne de zoo jolie comme un cœur (c’est Scarlett Johansson, très bien aussi) toute prête à consoler le veuf éploré. Mélangez tous ces ingrédients et vous obtenez, sur le papier, le pire scénario imaginable, un sirop d’orgeat qui vous soulève le cœur rien qu’à la lecture et qu’on a surtout envie de fuir à toutes jambes.

Eh bien, on aurait grand tort : en dépit de quelques moments d’émotion un peu trop sollicitée et d’un certain maniérisme dans des retours en arrière pas forcément nécessaires et assurément trop appuyés, Cameron Crow s’en tire plutôt bien. Et cela pour au moins deux raisons, la première tenant à des qualités de fabrication qu’on rougirait presque de souligner si elles ne manquaient pas trop souvent dans bon nombre de films que l’actualité nous propose chaque semaine ; quant à la seconde, c’est dans le scénario même qu’il faut aller la chercher  --  un scénario dont le sujet réel dépasse largement en intérêt le sujet apparent.

17 avril 2012

Baroque mais sans émotion.

Réédition de L’Impératrice rouge (The Scarlet Empress), de Josef von Sternberg (1934).

            Il y a une légende tenace qui s’attache au nom de Josef von Sternberg  --  légende que le cinéaste lui-même a tout fait pour alimenter et accréditer jusqu’à sa mort en 1969. Né en 1894 à Vienne (Autriche) sous le nom de Jonas Sternberg, il cultiva toute sa vie l’image d’un personnage arrogant et irascible, toujours en représentation, méprisant la terre entière et principalement les acteurs qu’il harcelait volontiers. «Il se comportait comme un Prussien. C’était un réalisateur très dictatorial», a dit un jour le comédien Clive Brook[1] de ce von Sternberg qui s’anoblit lui-même à l’instar d’un autre viennois, son alter ego par bien des aspects (et peut-être aussi son meilleur ennemi), Erich von Stroheim.

15 avril 2012

Le Orson Welles de la série B.

Des ovnis, des monstres et du sexe. Le cinéma selon Roger Corman, documentaire d’Alex Stappleton (2011).

            Combien de films au juste Roger Corman a-t-il réalisé ? Plus de soixante-dix ? Ou de quatre-vingt-dix ? Ou de cent, ou même plus encore ? Le sait-il seulement lui-même quand il confie à Robert Benayoun (en  décembre 1963) : « Parfois (…) je me réveille la nuit couvert de sueur et je pense que j’ai produit, réalisé, à un moment précis de ma carrière un film dont j’ai absolument tout oublié : le titre, le sujet, les acteurs, et le distributeur. Ce film est excellent, c’est le meilleur que j’aie fait, il gagne un argent fou, mais je n’en touche pas un seul centime, parce que je l’ai oublié ! »[1] D’autant que si l’on ajoute les films qu’il a produits, supervisés et même, pour certains, dirigés en partie, il faut sans doute au moins doubler la mise. Sans compter ceux (prestigieux, j’y reviendrai) qu’il a distribués aux Etats-Unis. Bref, une œuvre qui défie l’analyse et dont s’amuse aujourd’hui, dans un documentaire riche en témoignages[2] et en extraits de films que vient de diffuser Arte, cet octogénaire fringant qui n’a pas perdu son allure de jeune homme calme et bien élevé qui frappait ceux qui le rencontraient à l’époque où il enchaînait film sur film, sautant d’un sujet à un autre avec un sens affirmé, et pleinement assumé, de l’opportunité.

13 avril 2012

Cuisant échec.

Twixt, de Francis Ford Coppola (2011).

            Il serait quelque peu malhonnête de prétendre que l’échec que représente Twixt soit une réelle surprise. Même si la réussite (partielle) de Tetro (2009), son précédent opus, pouvait laisser espérer un nouveau départ, force est de constater que, depuis vingt ans au moins, Francis Ford Coppola ne cesse de décevoir.

            Après une formation dans l’ombre de Roger Corman, sur lequel je reviendrai très prochainement, et un début de carrière pour le moins erratique (de Dementia 13, 1963, horrifique production fauchée, à Finian’s Rainbow/La Vallée du bonheur, 1968, comédie musicale catastrophique), il réalisa un road-movie dans l’air du temps d’alors, disons entre Easy Rider (Dennis Hopper, 1969) et Cinq pièces faciles (Five Easy Pieces, Bob Rafelson, 1970) mais prenant une femme pour personnage principal (The Rain People/Les Gens de la pluie, 1969) puis s’intégra dans ce que l’on devait appeler par la suite le «Nouvel Hollywood» au début des années 70 en acceptant de réaliser Le Parrain (The Godfather, 1972) qui reste à coup sûr un de ses sommets.

11 avril 2012

Etrange bestiaire (2).

Sur la piste du marsupilami, de Alain Chabat (2012).

            Alain Chabat aime visiblement bien la gent animale, au point de s’être imaginé naguère dans la peau d’un chien (Didier, 1997). Il aime aussi la bande dessinée, dont il a un peu tâté à ses débuts, réussissant par la suite une excellente adaptation d’Astérix et Cléopâtre (Astérix et Obélix : Mission Céopâtre, 2001). Partir à la poursuite du marsupilami ne pouvait donc que lui convenir et il réussit admirablement son coup. Bien qu’ayant imaginé un scénario original, Chabat situe d’entrée de jeu son propos dans les années triomphantes de la bande dessinée venue de Belgique qui s’est développée, comme chacun sait (?), selon deux lignes plus ou moins opposées sinon concurrentes : la ligne « sombre », volontiers caricaturale, tendance Spirou (Jijé, Franquin, Greg et tous ceux de l’école de Marcinelle, du côté de Charleroi) et l’autre dite « claire », dépouillée et peu exubérante, tendance Tintin, dans le sillage de Hergé et de l’école de Bruxelles.

10 avril 2012

Etrange bestiaire (1).

The Plague Dogs, de Martin Rosen (1982).

            Ces derniers jours, deux films m’ont ramené, chacun à leur manière (joyeuse pour l’un, sombre pour l’autre), bien des années en arrière, à ces jours anciens où je guettais avec impatience les dernières livraisons de Tintin (ligne claire, école de Bruxelles) et de Spirou (ligne sombre, école de Marcinelle) chez le marchand de journaux du coin de la rue, et à ces jours plus anciens encore où mes parents devaient me faire quitter en catastrophe le cinéma qui projetait le Bambi de Walt Disney, hurlant et éploré que j’étais après l’assassinat de la mère de Bambi par les chasseurs. J’en ai conservé jusqu’à ce jour un fort tropisme animalier et une méfiance non moins forte à l’égard des chasseurs[1]. Bref, entre nostalgie et douleur enfantine, The Plague Dogs et Sur la piste du marsupilami, dont je parlerai demain, étaient faits pour moi.

9 avril 2012

Comme une feuille fanée flottant sur l'eau.

Réédition de Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp), de Michael Powell et Emeric Pressburger (1943).

            Aujourd’hui bien connu des amateurs de cinéma et apprécié à sa juste et très grande valeur, grâce notamment aux efforts de deux cinéastes parmi les plus cinéphiles qui soient (Bertrand Tavernier et Martin Scorsese), Michael Powell demeure malgré tout assez largement ignoré du grand public, loin à l’écart de cette constellation de cinéastes américains ou européens qui furent ses contemporains et dont l’inconscient collectif conserve la mémoire. Pour beaucoup, et souvent au-delà des frontières de la cinéphilie pure et dure, les noms de Ford (né en 1895) ou de Renoir (né en 1894), de Hitchcock (né en 1899) ou de Visconti (né en 1906), sans parler des légèrement plus jeunes Welles (né en 1915) ou Bergman (né en 1918), suscitent aujourd’hui encore un certain écho quand celui de Michael Powell (né, lui, en 1905) paraît s’égarer dans les brumes de cette terre inconnue que demeure encore le cinéma britannique  --  en dépit des efforts de critiques et historiens pionniers[1]. Il y a de bonnes raisons à cela, si j’ose dire, et surtout que Powell a très peu tourné après 1960, date de son dernier très grand film, Peeping Tom (Le Voyeur), qui fut non seulement un retentissant échec mais dont le sujet (le portrait d’un tueur sadique qui filme le meurtre et l’agonie des femmes qu’il assassine) souleva une manière de scandale. Jusqu’à sa mort, en 1990, il se consacra au théâtre (un peu) et à la télévision (beaucoup), s’exila un temps en Australie où il réalisera ses deux derniers longs métrages They’re a Weird Mob (1966), et Age of Consent (1968) avant d’être progressivement redécouvert dans le courant des années 70, notamment par la jeune génération des cinéastes américains  --  Scorsese bien sûr, qui lui demeurera fidèle au-delà de la mort, ou Coppola qui l’accueillera dans les années 80 comme «Senior Director in Residence» dans ses studios Zoetrope.

5 avril 2012

Marilyn et moi.

My Week with Marilyn, de Simon Curtis.

            Marilyn Monroe, mythe, légende, icône: il n’y a guère d’autre exemple d’une star ayant été élevée si haut et si longtemps au firmament du cinéma américain. A quoi tient cette bonne fortune posthume, rançon cynique d’une existence personnelle tragique ? Sans doute à   la nature même de cette existence, aussi brillante que météoritique, à cette beauté charismatique que tempère une vie sentimentale largement insatisfaisante, à cette destinée fracassée contre le rêve américain métamorphosé en cauchemar climatisé, à l’envers sombre d’apparences illusoires où se télescopent addictions violentes, psyché en morceaux et relations troubles  --  avec les Kennedy notamment, eux-mêmes tout aussi mythiques et équivoques. Bref, cinquante ans tout juste après sa mort (le 5 août 1962 à 36 ans), et en dépit d’une carrière finalement rien moins qu’exceptionnelle[1], Marilyn Monroe demeure plus que jamais un mythe, une légende, une icône, peu importe le terme, à coup sûr l’actrice américaine la plus célèbre du monde sinon la meilleure, celle qui nourrit encore l’imaginaire collectif occidental comme en témoignent les livres (essais, biographies ou romans), les films ou les hommages qui lui sont régulièrement consacrés.

            Ainsi nous propose-t-on aujourd’hui avec My Week with Marilyn une sorte de biopic pas très convaincant mais non dénué d’un certain charme qui tient à cette élégance un peu contrainte mais confortable, façon «house and garden», dont un certain cinéma britannique détient encore le secret. Le scénario relate le tournage en Angleterre du film de Laurence Olivier Le Prince et la danseuse (The Prince and the Showgirl, 1957) raconté par le troisième assistant-réalisateur, Colin Clarke (Eddie Redmayne), qui découvre à la fois le monde du cinéma et vit une rapide et platonique éducation sentimentale avec une Marilyn Monroe dont le comportement erratique menace en permanence le tournage du film.

3 avril 2012

Nuit cathartique.

Réédition de Train de nuit (Pociag), de Jerzy Kawalerowicz (1959).

            Juste après la guerre, dans les années 50, le cinéma polonais a connu une sorte d’âge d’or avec l’émergence de jeunes cinéastes  --  notamment Andrjez Munk, né en 1920, et Andrjez Wajda, né en 1926, tous deux diplômés de la très réputée école de cinéma de Lodz (créée en 1948). Il faut également citer Wojciech Has (né en 1925 ) et, bien que plus jeune (il est né en 1933), Roman Polanski, qui, après avoir débuté comme acteur pour Wajda (Génération aussi intitulé Une Fille a parlé, 1955), et une fois passé par l’école de Lodz, s’imposera très vite avec quelques courts métrages mémorables (comme Deux hommes et une armoire, 1958, et Le Gros et le maigre, 1960) et le seul long métrage qu’il réalisera en Pologne, Le Couteau dans l’eau, en 1962. Contrairement à Wajda, qui demeure le grand réalisateur polonais de l’après-guerre à nos jours, Andrjez Munk, mort en 1961 dans un accident de voiture pendant le tournage de son film le plus célèbre, La Passagère, n’aura pu développer une œuvre qui s’annonçait prometteuse.

            Jerzy Kawalerowicz (né en 1922 et mort en 2007) appartenait à cette génération de jeunes cinéastes ambitieux et assez soucieux de se démarquer alors du pouvoir en place, et bien que sa carrière ait quelque peu tourné court à la fin des années 60, on lui doit au moins trois films importants, très différents les uns des autres : Mère Jeanne des Anges en 1961 (consacré à l’affaire des possédés de Loudun), Pharaon en 1966 (un très curieux et inhabituel péplum) et ce Train de nuit, réalisé en 1959, et discrètement (deux séances par jour au seul Reflet-Médicis, il faut bien viser !) réédité dans une belle copie numérique.

1 avril 2012

L'empire du vide.

Young Adult, de Jason Reitman.

            A  l’aune des quatre films qu’il a réalisé à ce jour (y compris Young Adult), Jason Reitman fait désormais partie des cinéastes nord-américains (il est en fait de nationalité canadienne) qu’il importe de suivre avec la plus grande attention. Aucune des réalisations de ce «fils de» (Ivan Reitman, auteur de Ghostbusters/S.O.S. Fantômes et autres comédies du même filon) n’est négligeable et si elles abordent des thèmes variés, toutes participent d’une même radiographie sans fard de l’american way of life, qu’il s’agisse de la vie publique et de ses dérives (Thank You for Smoking, 2005, qui s’en prend à l’industrie du tabac et à son lobbying, et Up in the Air/In the air, 2009, qui dénonce le cynisme du monde de l’entreprise et de l’industrie du licenciement) ou de la vie privée et de la crise de la famille américaine contemporaine (Juno, 2007, et aujourd’hui Young Adult).