29 décembre 2012

Un fils lointain de l'inspecteur Harry.


Jack Reacher, de Christopher McQuarrie (2012).

            Il aura fallu attendre une douzaine d’années pour voir revenir derrière les caméras Christopher McQuarrie, auteur du scénario ultra-brillant de The Usual Suspects (Bryan Singer, 1995) et d’un premier film prometteur, The Way of the Gun (2000). Entre l’écriture de scénarios d’une qualité inégale (on lui doit notamment celui de l’exécrable The Tourist, de Florian Henckel von Donnersmarck, 2011) et tout en poursuivant sa collaboration avec le décevant Singer (Jack the Giant Killer, dont la sortie est annoncée pour dans quelques mois), il semble s’être mis aujourd’hui avec Jack Reacher au service de Tom Cruise, sans doute rencontré sur le plateau de Walkyrie (Bryan Singer, 2008).

27 décembre 2012

Splendeurs du cinéma (1).


Réédition de Splendor in the Grass (La Fièvre dans le sang), d’Elia Kazan (1960).

            Il y a des rééditions de films plus ou moins anciens dont l’immense qualité laisse très loin derrière eux l’essentiel de la production que l’actualité nous jette en pâture de semaine en semaine. Splendor in the Grass et Sunset Boulevard (Boulevard du crépuscule, Billy Wilder, 1950), qu’on propose de nouveau à notre admiration, en sont de bons exemples. On m’objectera à juste titre que ces films ont été en leur temps, comme les autres, des « films nouveaux », parfois très diversement appréciés et qui, pour certains, n’ont gagné leur statut de très grande œuvre qu’au fil du temps. Il est non moins vrai qu’on ne peut toujours juger la production courante à l’aune des seuls films majeurs. Mais il n’empêche : quand tant de bandes insipides passent en ne laissant que des souvenirs confus et rapidement envolés, il est bon de retrouver de temps en temps les splendeurs de cet art unique que peut être, au-delà de l’industrie, le cinéma.

23 décembre 2012

Un peu plus qu'un western?


Réédition de High Noon (Le train sifflera trois fois), de Fred Zinnemann (1952).

            Il fut un temps lointain où certains cinéphiles français vouaient High Noon aux gémonies, estimant le film lourdement démonstratif et mis en scène de façon empesée, condamnant au passage toute l’œuvre de Fred Zinnemann[1]  --  quand d’autres au contraire, réputés n’apprécier guère le western, y voyaient l’entrée du genre dans l’âge adulte, abordant un « vrai grand sujet » loin des sempiternels archétypes du genre. Les uns et les autres exagéraient alors, en ces temps de terrorisme critique, promulguant facilement des oukases destinées à massacrer certains cinéastes pour en mieux défendre d’autres[2]. Les assauts de mauvaise foi ayant depuis lors fait long feu (encore que…), c’est avec la plus grande sérénité et le recul nécessaire (soixante ans tout de même) que l’on peut revoir et juger aujourd’hui High Noon dans une splendide copie numérique.

20 décembre 2012

Le portrait au vitriol d'une certaine Amérique contemporaine.


Arbitrage, de Nicholas Jarecki (2012).

            Ce n’est assurément pas le chef-d’œuvre de l’année mais voilà un film très habilement mené, réalisé par un jeune réalisateur (il est né en 1979), auteur d’un documentaire sur James Toback (The Outsider, 2005), et dont c’est le premier long métrage de fiction. Cependant, n’étant ni un blockbuster capable de rivaliser avec un quelconque hobbit aux moyens dévastateurs ni un dessin animé susceptible de drainer en cette période festive un large public enfantin, il y a de bonnes chances pour qu’Arbitrage, en dépit d’un casting plutôt haut de gamme, connaisse un retentissant échec commercial de ce côté-ci de l’Atlantique. On pourra le déplorer sans s’en étonner pour autant.

18 décembre 2012

Un film de producteur.


Le Hobbit : un voyage inattendu (The Hobbit : An Unexpected Journey), de Peter Jackson (2012).

            C’est d’abord l’histoire de la rencontre inattendue d’un cinéaste plutôt obscur, auteur de quelques bandes gores sans autre intérêt qu’un pittoresque déjanté, et d’une œuvre littéraire hissée au niveau d’un mythe planétaire. Qui aurait jamais imaginé que Peter Jackson trouverait un jour son chemin de Damas cinématographique en adaptant la saga de Tolkien, « Le Seigneur des Anneaux » hier, « Bilbo le Hobbit » aujourd’hui ? Il faut dire que le spectaculaire riche en exotisme et effets spéciaux lui convient à merveille : son excellent remake de King Kong (2005) en témoigne, de même que, preuve par l’absurde, l’exécrable Lovely Bones (2009) marque ses limites dans un registre de fantastique disons plus psychologique et intimiste.

14 décembre 2012

Un beau sujet gâché.


Les Bêtes du sud sauvage (Beasts of the Southern Wild), de Benh Zeitlin (2012).

            Voici donc le coup d’essai d’un jeune cinéaste qui nous arrive tout auréolé d’une gloire surprenante : accueil critique d’une rare ferveur et lauriers récoltés ici et là  --  Grand Prix du jury à Sundance et Caméra d’or à Cannes, entre autres distinctions. Ajoutons à cela l’axiome pas toujours justifié qui voudrait qu’une production indépendante fût a priori toujours peu ou prou intéressante, et l’on obtient à l’arrivée un film attendu avec une impatience fébrile et beaucoup d’espoir  --  un film que l’on pourrait dire en somme déjà aimé avant même que d’être vu. Le réveil n’en est que plus douloureux quand, au sortir de la projection, on se lamente avec colère sur l’air de « tout ça pour ça », une fois constaté que la montagne cinématographique qu’on nous promettait n’accouche que d’une souris prétentieuse.

12 décembre 2012

Une société entre artifice et naturalisme.


Anna Karénine (Anna Karenina), de Joe Wright (2012).

            Curieux cinéaste que Joe Wright, qui ne semble vraiment à  son aise qu’en se colletant avec une matière romanesque connue et reconnue, souvent difficilement abordable, mais qu’il parvient cependant à dominer avec la complicité de scénaristes particulièrement inspirés. Aussi laissera-t-on de côté, comme toujours sous bénéfice d’inventaire, Le Soliste (The Soloist, 2009), décevante escapade américaine, et Hanna (2001), thriller de peu d’intérêt à mi-chemin de la Nikita de Luc Besson et de la saga Jason Bourne,  pour mieux rappeler les réussites que furent Orgueil et préjugés (Pride and Prejudice, 2005) et plus encore Reviens-moi (Atonement, 2007) dont le scénario virtuose  de Christopher Hampton adaptait un roman de Ian McEwan pourtant réputé inadaptable. De même qu’avec Orgueil et préjugés on pouvait légitimement s’interroger sur l’opportunité d’une énième adaptation de Jane Austin (encore que le succès de Raison et sentiments/Sense and Sensibility de Ang Lee avait en quelque sorte ouvert la voie dix ans auparavant), il n’est pas déplacé de se demander, comme pour Thérèse Desqueyroux il y a peu, ce que le roman de Tolstoï a encore à nous dire et comment donc un cinéaste de la jeune génération (Wright a tout juste quarante ans) peut se l’approprier aujourd’hui.

10 décembre 2012

Allégorie d'une Amérique au bord du gouffre.


Cogan : Killing Them Softly (Killing Them Softly), de Andrew Dominik (2012).

            Andrew Dominik fait partie de ces cinéastes australiens ou néo-zélandais attirés à Hollywood après quelques premiers pas au pays  --  illustrant en quelque sorte l’extrême porosité qui existe encore entre les anciennes colonies anglaises. De Peter Weir, le grand ancien, à John Hillcoat en passant par Andrew Niccol, pour le meilleur, et Baz Luhrman, pour le pire, ils sont ainsi quelques-uns à mener avec des fortunes diverses une carrière américaine (ou internationale si l’on préfère) aux côtés d’acteurs également d’origine aussie (Mel Gibson, Nicole Kidman, Russel Crowe, Eric Bana, Geoffrey Rush ou Cate Blanchett, parmi d’autres). Après L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, 2007), adaptation ambitieuse et plutôt réussie d’un roman de Ron Hansen, Andrew Dominik poursuit son compagnonnage professionnel avec Brad Pitt, également producteur de ce nouveau film, cette fois d’après une série (très) noire de George V. Higgins, Cogan : Killing Them Softly.

5 décembre 2012

Le diable au couvent.


Au-delà des collines (Dupa Dealuri), de Cristian Mungiu (2012).

            Jeune cinéaste distingué par une Palme d’or inattendue en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, qui décrivait par le menu les aléas d’un avortement clandestin dans la Roumanie de Ceausescu, et de nouveau récompensé cette année (meilleur scénario et double prix d’interprétation féminine), Cristian Mungiu doit à son statut désormais international d’être considéré comme le chef de file d’un cinéma roumain en pleine renaissance. Il est sans doute un cinéaste des plus brillants et nul ne saurait contester son talent. Mais, pour autant, Au-delà des collines en montre aujourd’hui les limites, moins du fait de son indiscutable savoir-faire que de la perception qu’il en a et qu’il veut bien en donner.

3 décembre 2012

Les copains d'abord.


Comme des frères, d’Hugo Gélin (2012).

            Fils de Xavier Gélin, mort prématurément il y a quelques années déjà et qui fut acteur et surtout producteur, et petit-fils de Danièle Delorme et de Daniel Gélin, excusez du peu, Hugo Gélin (né en 1980) est assurément tombé dans le cinéma quand il était tout petit. Aussi, bon sang ne sachant mentir, propose-t-il aujourd’hui, après deux courts métrages, un premier film d’autant plus plaisant que le mois de novembre aura été, au moins cinématographiquement parlant, plutôt morne et  tristounet.

1 décembre 2012

Les jeux de l'amour et du pouvoir.


Royal Affair (En Kongelig Affaere), de Nikolaj Arcel (2012).

            Après avoir découvert il y a quelques années la richesse et la diversité de la littérature scandinave, qu’elle soit policière ou générale (et en grande partie grâce au travail des éditions Actes Sud), on s’aperçoit que se développe aussi dans le nord de l’Europe, au-delà des grands précurseurs bien connus (de Dreyer à Bergman en passant par Sjöström et Stiller) et des récents ravages du Dogme 95, une production audiovisuelle de grande qualité  --  je dis audiovisuelle puisqu’elle concerne aussi bien le cinéma que la télévision avec d’excellentes séries comme Forbrydelsen (connue aussi sous le titre de The Killing, comme son remake américain), les enquêtes du commissaire Winter ou encore Borgen, actuellement diffusée sur Arte. Millenium déjà (la version locale de Niels Arden Oplev, pas déshonorante même si inférieure à celle de David Fincher), plus récemment Les Révoltés de l’île du diable de Marius Holst, malheureusement passé complètement inaperçu, aujourd’hui Royal Affair  --  autant de films parfaitement aboutis qui témoignent d’un cinéma nordique en bonne santé et libéré des théories ineptes du Dogme[1].

27 novembre 2012

Un catéchisme lourd et démonstratif.


Le Capital, de Costa-Gavras (2012).

            Costa-Gavras est de ces cinéastes courageux et pas très nombreux qui estiment que leur inspiration doit naître d’une indignation ou d’un engagement, et souvent des deux à la fois. Rares sont ses films qui ne s’intéressent pas peu ou prou à l’actualité, celle d’aujourd’hui comme celle d’hier  --  qui appartient désormais à ce qu’on appelle l’Histoire. Il a ainsi développé en bientôt cinquante ans (son premier film, Compartiments tueurs, un très bon polar adapté d’un roman de Sébastien Japrisot, date de 1965) une œuvre assez cohérente, avec des fortunes diverses assurément, mais d’une sincérité et d’une honnêteté absolues. L’homme croit visiblement à ce que fait le cinéaste et inversement, au prix parfois de lourdeurs et de simplifications qui limitent la portée de son discours. Ainsi, en illustrant des thèmes assez voisins, qui mettent en cause les méfaits bien réels du capitalisme financier, peut-il tour à tour réussir un film intelligent et malin (Le Couperet, 2005) ou au contraire, comme aujourd’hui, se laisser entraîner dans un festival d’images d’Epinal aussi pesantes que finalement peu convaincantes.

26 novembre 2012

Une nouvelle Amérique.


Une nouvelle chance (Trouble with the Curve), de Robert Lorenz (2012).

            Cela fait bien des années maintenant que Clint Eastwood n’a plus tourné sous la direction d’un cinéaste autre que lui-même. Il faut en effet remonter à 1993 avec Dans la ligne de mire de Wolfgang Petersen (In the Line of Fire), c'est-à-dire, dans sa filmographie de réalisateur, entre Impitoyable (Unforgiven, 1992) et Un monde parfait (A Perfect World, 1993). On peut donc penser que c’est d’abord par amitié pour Robert Lorenz, un de ses plus proches collaborateurs depuis Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County, 1995), d’abord comme assistant-réalisateur puis comme producteur, qu’il a accepté de revenir devant la caméra le temps d’un film  --  mais qui pourrait être son film de trop en tant qu’acteur.

24 novembre 2012

Sans ennui ni passion.


Thérèse Desqueyroux, de Claude Miller (2012).

            Etait-il bien nécessaire de proposer au public de 2012 une nouvelle version de Thérèse Desqueyroux dont il existe une première adaptation réalisée par Georges Franju en 1962, avec Emmanuelle Riva et Philippe Noiret et sur des dialogues de Mauriac lui-même  --  par ailleurs co-auteur du scénario ? Cette histoire qui paraît d’un autre temps peut-elle encore nous toucher, ou seulement nous intéresser ? La réponse à ces interrogations, que l’on peut en fait formuler pour n’importe quel film, tient évidemment au regard que porte le metteur en scène sur son  sujet, à la façon dont il aborde et traite ses personnages et dont il dirige les acteurs censés les incarner, enfin aux choix qui sont les siens dans l’écriture du scénario (s’il y participe, ce qui est le cas ici) et dans les partis pris de la mise en scène. Ce travail alchimique délicat et mystérieux, qui est l’essence même de l’art cinématographique, il n’est pas certain que Claude Miller (disparu en avril dernier) soit parvenu à le mener totalement à bien ici.

23 novembre 2012

Un coup d'essai mais pas un coup de maître.


Fear and Desire, de Stanley Kubrick (1953).

            Doit-on se sentir coupable d’exprimer de sérieuses réserves à propos de ce film, le premier réalisé par Stanley Kubrick[1] ? Il est vrai que le cinéaste a été sanctifié à un point tel que toute opinion contraire à la doxa relève de l’hérésie et du crime de lèse-majesté. Mais Kubrick semble avoir répondu lui-même à la question en décidant d’éliminer Fear and Desire de sa filmographie et en en détruisant la plupart des copies  --  apparemment pas toutes puisqu’on peut voir désormais le film, en allant ainsi à l’encontre des souhaits du cinéaste. Est-ce bien raisonnable ?

21 novembre 2012

Une nouvelle perle wilderienne.


Réédition de A Foreign Affair (La Scandaleuse de Berlin), de Billy Wilder (1948).

            Chaque nouvelle vision d’un film de Billy Wilder, loin de tempérer des enthousiasmes anciens, confirme, renforce et même amplifie l’importance au sein de l’âge d’or du cinéma américain classique de ce cinéaste trop longtemps sous-estimé. Mais comme tout grand cru, son œuvre ne cesse de se bonifier avec le temps. Même un film aussi étranger à sa nature que The Spirit of Saint-Louis (L’Odyssée de Charles Lindbergh, 1957), revu tout récemment[1], ne manque pas de moments tout à fait dignes de son immense talent et où l’on retrouve son style inimitable. Autant dire que la réédition de A Foreign Affair, assurément pas le plus connu de ses films,  nous permet aujourd’hui de (re)-découvrir une nouvelle perle wilderienne  --  une de plus pourrait-on dire.

19 novembre 2012

Les lendemains qui déchantent.


Après Mai, d’Olivier Assayas (2012).

            Il y a des films (ou des livres, ou les deux) qui nous intéressent d’abord parce qu’ils  font surgir brusquement les fantômes d’un passé qui fut aussi le nôtre et que l’on est plus curieux que content de retrouver le temps d’une séance de cinéma (ou de la lecture d’un livre, ou des deux). C’est le cas du dernier film d’Olivier Assayas, Après Mai, où quelques-uns de ceux nés dans le mitan des années 50 revivront certains moments de fièvre qu’ils connurent comme acteurs ou comme témoins dans les années 70.

17 novembre 2012

Un faux documentaire tout en épate et retape.


End of Watch, de David Ayer (2012).

            Scénariste (on lui doit notamment le script de Training Day, Antoine Fuqua, 2001, et de quelques autres films moins mémorables) et réalisateur, David Ayer s’intéresse avec obstination aux mœurs violentes des mégalopoles américaines  --  et notamment du quartier de South Central à Los Angeles où il a vécu adolescent. Autant dire qu’il nourrit son inspiration d’informations de première main  --  garantie, sinon de qualité, du moins d’une certaine authenticité. On ne lui reprochera donc pas d’ignorer ce dont il parle mais, pour autant, bien connaître son sujet ne signifie nullement bien le traiter, et Ayer nous en assène lourdement la preuve dans ce film détestable à bien des égards.

15 novembre 2012

"La nostalgie n'est plus ce qu'elle était".


Réédition de L’Etrange Créature du lac noir (The Creature from the Black Lagoon), de Jack Arnold (1954).

            Amusante idée (peut-être due au seul hasard) de rééditer ce petit film fantastique des années 50, en noir et blanc mais avec option 3D en prime, au moment où nous arrive par ailleurs le Frankenweenie de Tim Burton. Il n’y a ni mépris ni condescendance de ma part dans l’utilisation du qualificatif petit, qui se rapporte d’abord à la modicité d’un budget visiblement étriqué. Une poignée d’acteurs peu connus, un unique décor d’extérieur (le lagon du titre original) et tout le reste filmé en studio (avec transparences), à l’exception notable de prises de vues sous-marines dont le film fait un usage immodéré  --  normal, me direz-vous, pour une production qui met en vedette une créature amphibie.

12 novembre 2012

Fiction du réel et réalité de la fiction.


Argo, de Ben Affleck (2012).

            Acteur souvent brocardé pour ses mauvais choix et son talent jugé, à tort ou à raison, médiocre, Ben Affleck va-t-il finalement connaître l’heureux destin d’un Clint Eastwood, comédien vilipendé au début de sa carrière (certains le disaient « aussi expressif qu’une semelle de botte »), devenu un cinéaste reconnu et respecté, considéré aujourd’hui comme le « dernier des géants » d’un certain cinéma américain classique ? Il est certes difficile de préjuger de la suite de sa carrière mais, passé derrière la caméra en 2007 avec Gone Baby Gone, adapté d’un roman de Dennis Lehanne (autre point de convergence avec Clint Eastwood qui s’est attaqué, lui, à « Mystic River » du même Lehanne en 2003), il a fait depuis lors un parcours sans faute avec The Town en 2010 et aujourd’hui Argo.

8 novembre 2012

Vertige métaphysique pour science-fiction de qualité.


Looper, de Rian Johnson (2012).

            Voilà un film de science-fiction (mais il y a en fait ici peu de science et beaucoup de fiction) comme on en voit finalement assez rarement et qui mérite donc le détour. Bénéficiant  d’un budget certes confortable mais qu’on peut cependant considérer comme relativement limité à l’aune des blockbusters actuels, c’est par son scénario résolument adulte et réfléchi (et non dénué de fortes influences cinéphiliques, on le verra), et les choix esthétiques qui s’ensuivent, que Looper retient l’attention et sort de l’ordinaire. On ne s’y attendait guère  --  c’est donc une excellente surprise.

7 novembre 2012

Portrait de l'artiste en cinéphile incorrigible.


Frankenweenie, de Tim Burton (2012).

            Après la réussite en demi-teinte de Dark Shadows , Tim Burton nous devait une revanche. C’est chose faite aujourd’hui avec ce long métrage d’animation jubilatoire, tellement burtonien qu’on ne manquera pas ici ou là de faire des gorges chaudes à propos de ce cinéaste qui ne cesse de s’auto-caricaturer et de se répéter à l’envi, bref : de tourner en rond, non sans nourrir au passage de peu sympathiques préoccupations mercantiles  --  après tout, la franchise Tim Burton nourrit plutôt bien son homme. Mais si tourner en rond c’est faire preuve, comme ici, de cohérence dans l’inventivité, d’originalité dans les choix esthétiques ou encore d’humour dans le développement d’un scénario impeccable et truffé de références cinématographiques, alors souhaitons que beaucoup d’autres cinéastes se décident eux aussi à tourner en rond d’aussi belle façon  --  ce ne sont pas les cinéphiles qui s’en plaindront.

5 novembre 2012

Le côté obscur du héros.


Skyfall, de Sam Mendes (2012).

            Difficile d’ignorer, la nouvelle ayant été répandue à grand renfort de trompe, que James Bond est aujourd’hui, au cinéma[1], un fringant quinquagénaire. Fringant ? C’est à voir tant, pour le nouvel establishment de la sécurité, il semble faire partie de ces objets obsolètes mais éventuellement attendrissants, car chargés de souvenirs, qu’on range à jamais dans les greniers de l’Histoire. L’affaire se veut donc entendue : face aux Jason Bourne et autres agents mutants et dopés au tout numérique, face à ces petits génies de l’informatique capables de semer mort et destruction en pressant d’un index désinvolte sur une touche de clavier, le vieux 007 ne fait apparemment plus le poids. N’échoue-t-il pas lamentablement aux différents tests qu’on lui impose, ne reprenant du service que par protection  --  merci M  (Judi Dench), devenue pour le coup une curieuse maman de substitution. Il s’agissait donc de donner une seconde jeunesse à notre cher Bond en lui faisant paradoxalement suivre une cure de cinéma à l’ancienne. Ce que comprenant, les producteurs ont décidé avec intelligence de faire appel à un metteur en scène de qualité qu’on n’imaginait guère voir embarquer un jour sur une semblable galère  --  ou plutôt sur un galion aussi vénérable. Opération en tous points réussie, disons-le tout net, et au-delà même de ce que l’on pouvait espérer.

1 novembre 2012

Capra, la politique et le rêve américain.


Réédition de State of the Union (L’Enjeu), de Frank Capra (1948).

            Pendant une petite dizaine d’années, de 1939 à 1948, Frank Capra réalisa ce qui était un de ses vœux les plus chers (après avoir eu son nom au-dessus du titre[1], signe absolu de réussite sociale et professionnelle) : obtenir son indépendance en créant sa propre maison de production sous la bannière ô combien symbolique de Liberty Film Inc. Il venait alors de réaliser Mr. Smith Goes to Washington (M. Smith au Sénat, 1939) et Meet John Doe (L’Homme de la rue) suivit en 1941  --  les deux premiers volets d’une trilogie politique que State of the Union allait conclure en 1948. Un film dont la réédition aujourd’hui ne manque pas d’une certaine opportunité puisqu’il décrit les tractations et autres manifestations menant à la désignation d’un candidat pour les élections présidentielles américaines.

29 octobre 2012

Un mythe en construction.


Réédition de Dishonored (Agent X 27, 1931) et de Shanghai Express (1932) de Josef von Sternberg.

            Quelle place mérite vraiment Josef von Sternberg dans l’histoire du cinéma, quand on sait que bon nombre d’historiens et de critiques le tiennent en très haute estime, évoquant même parfois un auteur de génie ? Force est de constater d’ailleurs, à voir ou revoir ses films, et en particulier ceux de la période Dietrich comme les deux que l’Action-Christine propose aujourd’hui en réédition après L’Impératrice rouge (The Scarlet Empress, 1934) il y a seulement quelques mois, force est de constater donc la cohérence extrême de sa démarche qui en fait même, d’une certaine façon, une caricature d’auteur. Mais une large part de sa filmographie reste finalement dans l’ombre (la période muette notamment) et sans doute, si l’on ose dire, l’arbre Dietrich cache-t-il la forêt d’une œuvre autrement plus diverse qu’on ne l’imagine.

27 octobre 2012

Un mal nécessaire?


Amour, de Michael Haneke (2012).

            Disons-le d’entrée de jeu pour ne plus avoir à y revenir : Amour, le dernier film de Michael Haneke (et récente Palme d’or cannoise) n’est pas plus une défense et illustration de l’euthanasie que Le Ruban blanc (2009, et autre Palme d’or) n’était une étude sur les racines obscures du nazisme comme on a pu le dire et l’écrire ici ou là. Ce n’est pas non plus, autant le savoir, une expérience plaisante et confortable  --  mais a-t-on jamais attendu de Haneke un cinéma plaisant et confortable ? Il n’y a rien là qui réjouisse ou qui attire, mais on a sans doute affaire à un film nécessaire  --  comme on dit parfois d’un mal qu’il est nécessaire.

24 octobre 2012

Une languissante comédie, n'est-il pas?


Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté, de Laurent Tirard (2012).

            Parce qu’on aime bien et depuis longtemps les aventures d’Astérix en bandes dessinées (du moins celles écrites par l’excellent René Goscinny) ; parce qu’après l’échec retentissant du précédent opus une revanche s’imposait ; parce que se trouvent ici réunis, d’Edouard Baer à Bouli Lanners, quelques comédiens dont l’humour très personnel promettait de nous sortir des sentiers battus ; parce qu’il aurait été heureux et bien venu qu’un vrai grand succès populaire vienne conclure une rentrée particulièrement faste, en termes qualitatifs, pour le cinéma hexagonal ; pour toutes ces raisons et quelques autres qui tiennent au plaisir tout simple de rire sans arrières pensées d’aucune sorte, on aimerait dire le plus grand bien d’un film qui propose rien moins que  l’adaptation de deux des plus mémorables albums de la série, « Astérix chez les Bretons » et « Astérix et les Normands ».

22 octobre 2012

Un échec aussi monumental qu'incompréhensible.


Paperboy, de Lee Daniels (2012).

            Ceux qui ont lu et aimé « Paperboy », le roman de Pete Dexter publié aux Etats-Unis en 1995 et traduit la même année en français aux éditions de l’Olivier, savaient que se trouvaient réunis là tous les éléments pour que le cinéma s’en saisisse et le transforme un jour ou l’autre en un grand film noir. Deux reporters qui mènent une enquête pour provoquer la révision d’un procès ; une femme fatale qui s’amourache par correspondance d’un prisonnier peut-être victime d’une erreur judiciaire ; la chaleur moite d’un Sud où le racisme tient encore le haut du pavé (l’action se déroule en Floride en 1969) ; des « hommes des bois » qui vivent dans les marais, à l’écart du monde et de ses lois, « avec des couteaux et des chiens, qui suspendent des peaux de bêtes aux arbres de leur cour » et chassent les crocodiles ; des éclairs de violence aveugle et la mort qui rôde sans cesse entre les mots  --  il y avait, on le voit, de quoi inspirer un cinéaste, pourvu qu’il fût de qualité. La déception n’en est aujourd’hui que plus vive et à la hauteur de l’attente  --  autant dire immense.

20 octobre 2012

Un marivaudage fitzgeraldien.


Au galop, de Louis-Do de Lencquesaing (2012).

            Un peu comme le Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer, voici un film dont le titre n’a que peu de rapport avec son objet. Pas du tout même, bien que le récit s’efforce incidemment de lui donner un sens. Peut-être faut-il y voir en réalité un appel du pied, conscient ou pas, en direction de ces hussards de la littérature qui traversèrent au galop l’immédiate après-guerre  --  les positions politiques droitières en moins[1]. On retrouve ici ce même goût pour des personnages blessés mais qui taisent ou masquent leur douleur ; ce même ton doux-amer, désenchanté et désengagé, qui ne s’attache guère qu’aux intermittences du cœur ; ces mêmes pieds de nez qu’on adresse à la camarde  --  ce que l’on pourrait appeler, quitte à passer pour un peu cuistre, un marivaudage fitzgeraldien.

18 octobre 2012

Survivre et sauver son humanité.


Sous la ville (In the Darkness), de Agnieszka Holland (2011).

            Cinéaste pour le moins irrégulière, ayant mené une curieuse et décevante carrière internationale à travers l’Europe et jusqu’aux Etats-Unis, Agnieszka Holland (née à Varsovie en 1948) n’est jamais plus à son affaire que lorsqu’elle retrouve ses racines polonaises et le souvenir d’une guerre qu’elle n’a pas connue mais qui hante ses films les plus réussis : Europa, Europa (Hitlerjunge Salomon), en 1990, ou Sous la ville aujourd’hui, où l’on retrouve l’indiscutable influence du Kanal d’Andrzej Wajda (1957), dont elle fut l’assistante, bien qu’il s’agisse ici de Juifs désarmés et non de résistants polonais ; et aussi, plus logiquement, de La Liste de Schindler (Schindler’s List, 1993) de Steven Spielberg et du Pianiste (The Pianist, 2002) de Roman Polanski. Mais pour autant, avec cette histoire authentique d’une poignée de Juifs du ghetto de Lvov réfugiés dans les égouts de la ville pendant plus d’un an, jusqu’à l’arrivée des troupes soviétiques à l’été de 1944, la cinéaste parvient à faire œuvre personnelle en transformant la destinée dramatique mais finalement heureuse (ils seront sauvés) de ses personnages en un remarquable raccourci de la Shoah.

16 octobre 2012

Du lourd, mais assez drôle.


Ted, de Seth MacFarlane (2012).

            Il n’y a pas loin d’une vingtaine d’années maintenant que sont apparues les premières comédies bêtes et potaches (mais pas méchantes pour deux sous) des frères Farrelly (Dumb and Dumber en 1994), suivies aussitôt par celles, tout aussi lourdes et vulgaires (les avis sont partagés sur ce dernier point), de Judd Apatow. Sans doute est-ce bien de ce côté-là que Seth McFarlane a été chercher son inspiration pour Ted, mais en partie seulement. Car, l’anthropomorphisme de l’ours en peluche aidant, il est difficile de ne pas voir se profiler à l’arrière-plan  (MacFarlane venant lui-même du dessin animé) les silhouettes de Garfield, le chat paresseux imaginé par Jim Davis, et surtout de Fritz le Chat, héros, dans les années 60, des bandes dessinées undergrounds de Robert Crumb, adaptées au cinéma en 1972 par Ralph Bakshi  --  le premier film d’animation classé X et interdit aux enfants.

14 octobre 2012

Un produit calibré pour ne déplaire à personne.


Tous les espoirs sont permis (Hope Springs), de David Frankel (2012).

            Pouvait-on décemment s’attendre à une bonne surprise de la part du médiocre David Frankel dont le seul titre de gloire à ce jour reste d’avoir obtenu un gros succès commercial avec Le Diable s’habille en Prada (The Devil Wears Prada, 2006)  --  film par ailleurs oubliable et qui valait surtout pour, déjà, la performance de Meryl Streep ? On ne change pas un tandem qui gagne ont du se dire les producteurs. Aussi retrouve-t-on ici la même Meryl Streep, flanquée cette fois de Tommy Lee Jones sur sa droite et, face à elle, dans le rôle du psy qui se propose de rafistoler leur couple devenu bancal avec l’âge, un Steve Carell nettement en retrait, pas mauvais d’ailleurs mais un peu sacrifié et qui se contente de renvoyer la balle avec talent.

12 octobre 2012

Un fascinant jeu de miroirs et de tiroirs.


Dans la maison, de François Ozon (2012).

            Il faut toujours se méfier des bandes-annonces, trompeuses par vocation. La plupart mettent l’eau à la bouche du spectateur, au risque de la déception, quand quelques-unes le laissent dubitatif, voire vaguement inquiet  --  celle de Dans la maison est du nombre. Hé quoi, allait-on nous resservir pour la énième fois un de ces faits divers, pittoresques mais en général insipides, inspirés de faits réels, pour reprendre le mantra qui dorénavant excuse et justifie tout ? Ou s’agit-il au contraire d’un jeu de tromperie rien moins que réaliste et qui commence, précisément, dès la bande-annonce ?

10 octobre 2012

Détresse ou désastre?


Damsels in Distress, de Whit Stillman (2011).

            Whit Stillman tourne apparemment très peu  --  quatre films seulement en plus de vingt ans et le dernier en date, Les Derniers jours du disco (The Last Days of Disco) remonte à 1998. Doit-on le déplorer ? J’avoue à ma grande honte n’en avoir vu aucun  --  mais Damsels in Distress, sa dernière réalisation, ne m’incite guère à découvrir les autres.

9 octobre 2012

Une comédie charmante mais sans relief.


Elle s’appelle Ruby (Ruby Sparks), de Jonathan Dayton et Valerie Faris (2012).

            Sans doute se souvient-on encore du précédent et premier film réalisé par le tandem Faris-Dayton, Little Miss Sunshine. C’était une comédie très enlevée, avec des personnages bien dessinés, un heureux enchaînement de situations originales, un humour plutôt délicat et, pour finir, une mise en scène assez passe-partout. Bref, le type même du film de scénariste où les réalisateurs assurent tant bien que mal sans chercher midi à quatorze heures.  Après un silence de six ans, Faris et Dayton remettent le couvert, cette fois sur un scénario de Zoe Kazan (la fille de Nicholas et la petite-fille d’Elia) mais d’une qualité nettement inférieure à celui de Michael Arndt pour Little Miss Sunshine.

7 octobre 2012

Un grand cirque noir et cynique.


Réédition de Ace in the Hole/The Big Carnival (Le Gouffre aux chimères), de Billy Wilder (1951).

            Il y a toujours eu avec Billy Wilder une sorte de malentendu. Le succès de quelques-unes de ses comédies les plus célèbres (The Seven Year Itch/Sept ans de réflexion, 1955, Certains l’aiment chaud/Some Like It Hot, 1959, ou encore The Apartment/La garçonnière, 1960) l’a longtemps fait passer pour un simple amuseur, qui plus est à la patte jugée souvent lourde. C’est oublier que les plus grandes réussites de ses débuts de cinéaste sont des films sombres (Double Indemnity/Assurance sur la mort, 1944, ou Sunset Boulevard/Boulevard du crépuscule, 1950, par exemple), y compris Le Gouffre aux chimères qui nous est aujourd’hui proposé en réédition. Peut-être est-ce d’ailleurs l’échec commercial du film qui incita Wilder à se tourner vers la comédie  --  même fortement teintée de noirceur et reflétant une vision du monde dénuée de tout angélisme.

5 octobre 2012

"Le monde est chose bouffonne."


Reality, de Matteo Garrone (2012).

            Après l’indiscutable réussite qu’a été le précédent film de Matteo Garrone, Gomorra, on attendait le cinéaste au tournant, et autant dire d’entrée de jeu que Reality ne déçoit pas notre attente  --  contrairement à ce qu’un accueil critique assez frais pourrait laisser penser. Je ne sais si Garrone méritait ou non d’être distingué à Cannes, où le Grand prix lui a été décerné pour la deuxième fois, mais il est indiscutable qu’il s’affirme aujourd’hui comme un des cinéastes italiens parmi les plus intéressants  --  sinon le plus intéressant, stylistiquement plus inventif que Nanni Moretti et à tous égards moins racoleur  que Paolo Sorrentino (voir l’épouvantable This Must Be the Place, 2011).

4 octobre 2012

Une allègre danse macabre.


Le Magasin des suicides, de Patrice Leconte (2012).

            Il faudrait assurément réévaluer l’abondante production de Patrice Leconte, cinéaste très irrégulier dont certains films resteront à coup sûr alors même que d’autres sont d’ores et déjà oubliés  --  encore serait-il bon de vérifier qu’ils méritaient de l’être. Lui qui a beaucoup vitupéré contre une critique elle-même loin d’être au-dessus de tout soupçon, il n’est pas sans assurer une manière de continuité avec un certain cinéma français  --  celui de cette « qualité française » que Truffaut et ses amis stigmatisèrent en leur temps. Il serait un peu hasardeux, si l’on veut poursuivre la comparaison entre les deux époques, de le confondre avec des cinéastes comme Clouzot ou Becker mais, mutatis mutandis, sa carrière rappelle celle d’un Christian-Jaque, capable du meilleur et du moins bon, voire parfois du pire. L’un et l’autres ont été à l’origine de quelques succès populaires mémorables, ce qui n’a rien de blâmable, et leurs filmographies respectives montrent assez qu’ils ont su s’illustrer dans les genres les plus variés  --  quoi de commun en effet entre Les Bronzés (1978), Monsieur Hire (1989) et Ridicule (1996) ? Et aujourd’hui Leconte choisit une fois encore d’élargir sa palette en nous proposant un film d’animation  --  Le Magasin des suicides.

2 octobre 2012

Trafic équitable.


Savages, d’Oliver Stone (2012).

            Le cinéma d’Oliver Stone ne brille guère par la sobriété, c’est entendu, et s’il a réalisé quelques films mémorables, la plupart ne présentent que peu d’intérêt  --  voire parfois pas d’intérêt du tout. Aussi Savages apparaît aujourd’hui comme une plutôt bonne surprise, un film certes pas vraiment parfait, mais il ne faut pas demander l’impossible.

30 septembre 2012

L'obéissance à tout prix?


Compliance, de Craig Zobel (2012).

            Voilà un film fort peu aimable et cependant d’excellente qualité, qui transforme le spectateur plus que jamais en voyeur et lui jette en pâture un drame tout à la fois insupportable et banal  --  et que sa banalité même rend d’autant plus insupportable. On se surprend ici à vouloir apostropher les acteurs, ou plutôt les personnages qu’ils incarnent tous de façon remarquable, voire à quitter la salle en cours de projection tant le malaise qu’on ressent est profond. C’est dire la force d’un film qui repose en partie sur la célèbre expérience du psychologue Stanley Milgram mettant en lumière les ravages de l’obéissance aux ordres et de la soumission à l’autorité[1]. Il arrive même que l’on doute parfois d’une histoire dont on nous assure pourtant (formule irritante mais ici justifiée) qu’elle est inspirée de faits réels  --  et qu’elle s’est même répétée à plusieurs reprises à travers le territoire des Etats-Unis.

27 septembre 2012

L'irréel, de la scène à l'écran.


Vous n’avez encore rien vu, d’Alain Resnais (2012).

            C’est peu dire qu’Alain Resnais est aujourd’hui le plus grand cinéaste vivant  --  et vivant de quelle façon, lui qui, à 90 ans, nous donne à voir un art d’une insolente jeunesse. Le plus grand, mais aussi le plus libre, sans doute parce qu’à son âge et avec l’œuvre qui est la sienne, courts et longs métrages confondus, il n’a assurément plus rien à prouver et peut donc tout se permettre, comme d’embarquer son spectateur dans un long rêve éveillé où il réunit, jouant sous leur propre nom tout en se jouant de leur propre rôle, une quantité impressionnante de comédiens et de comédiennes de première grandeur. Mais il est vrai que l’on ne doit guère se faire prier pour travailler avec lui.

25 septembre 2012

Un "western" inattendu.


Réédition de Le Clan des irréductibles (Never Give an Inch), Paul Newman (1971).

Contrairement à Clint Eastwood, qui a progressivement glissé de l’état de comédien à celui de cinéaste faisant l’acteur de temps à autre, Paul Newman sera toujours et avant tout resté un comédien, ne passant que très ponctuellement derrière la caméra. Il a certes réalisé presque coup sur coup trois films entre 1968 et 1972 : Rachel, Rachel en 1968 et De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites (The Effect of Gamma Rays on Man-in-the-Moon Marigolds) en 1972 avec, entre les deux, celui qui bénéficie aujourd’hui d’une opportune réédition, Le Clan des irréductibles (Never Give an Inch) en 1971 ; mais ensuite, et jusqu’à sa mort en 2008, deux films seulement, L’Affrontement (Harry and Son, 1984) et La Ménagerie de verre (The Glass Menagerie, 1987).

23 septembre 2012

Du bon usage de la paranoïa.


Jason Bourne : l’héritage (The Bourne Legacy), de Tony Gilroy (2012).

            Longtemps, pour le cinéma américain, l’image du mal s’est incarnée dans ces ennemis étrangers que furent tour à tour le nazi et le communiste, avec leurs variantes domestiques : l’espion ou le saboteur  --  bref : le terroriste. Cette image demeure d’autant plus forte aujourd’hui que le 11-septembre lui a donné un évident regain d’actualité. Mais il est un autre ennemi,  dont on peut dater l’apparition du début des années 60 avec l’assassinat de John Kennedy et les soupçons de complot qu’il a nourris (et continue de nourrir d’ailleurs), et que l’on appellera moins ennemi intérieur (il s’agirait alors d’une sorte de cinquième colonne) qu’ennemi familier. Il n’est pas indifférent que ce soit un cinéaste proche des Kennedy, John Frankenheimer, qui, le premier, a illustré ce glissement, d’abord avec The Manchurian Candidate (Un Crime dans la tête, 1962), qui met en scène un assassinat politique en lien avec la guerre de Corée et le maccarthysme, mais surtout avec Seven Days in May (Sept jours en mai, 1964) qui décrit une tentative de coup d’état militaire aux Etats-Unis[1]. The Parallax View (A cause d’un assassinat, Alan J. Pakula, 1974) et Three Days of the Condor (Les Trois jours du condor, Sydney Pollack, 1975) débusquaient une dizaine d’années plus tard l’ennemi au cœur  même du système en dénonçant les méfaits de certaines agences gouvernementales, frayant la voie à une longue série de thrillers paranoïaques dont la trilogie Jason Bourne fait assurément partie. L’ennemi peut être désormais n’importe qui, et surtout quelqu’un de votre propre camp qui vous manipule jusqu’à ce que mort s’ensuive  --  voilà pour le postulat de base d’un genre que l’intrusion récente des nouvelles technologies n’a fait qu’exacerber en l’enrichissant de ressources nouvelles.

21 septembre 2012

Savoureux, mais pas seulement.


Les Saveurs du palais, de Christian Vincent (2012).

            Il y a quelque chose d’étonnant à voir le peu d’appétence du cinéma français pour la cuisine et la gastronomie  --  ce que d’aucuns considèrent comme un trésor national, classé au surplus par l’UNESCO comme patrimoine culturel et immatériel de l’humanité. Certes les séquences organisées « autour d’une table » ne manquent pas et il est même arrivé que la cuisine et ses dépendances servent de prétextes à diverses péripéties qui, de La Cuisine au beurre (Gilles Grangier, 1963) à La Cuisine américaine (Jean-Yves Pitoun, 1998) en passant par Le Grand restaurant (Jacques Besnard, 1966), L’Aile ou la cuisse (Claude Zidi, 1976) ou, très récemment, Comme un chef (Daniel Cohen, 2012), ont souvent donné lieu à  d’intéressantes variations sur le thème du navet. Mais rares ont été les films dont faitouts et casseroles ont composé le menu ordinaire. Même si son personnage principal est une Française en exil (et interprétée par une actrice elle-même française : Stéphane Audran[1]), Le Festin de Babette, peut-être le film le plus emblématique dans ce domaine, demeure une production danoise  (Gabriel Axel, 1987) et le dernier en date des films abordant la question avec quelque intérêt est américain, Julie et Julia de Nora Ephron (Julie and Julia,  2009), passé d’ailleurs injustement inaperçu. Peut-être est-ce pour avoir eu la révélation du cinéma en voyant La Règle du jeu de Jean Renoir (1939), où l’on apprend que pour réussir une salade de pommes de terre il faut savoir se brûler les doigts, que Christian Vincent s’attaque aujourd’hui à un sujet où cuisine et gastronomie occupent une place centrale. Centrale mais pas unique pour autant.

20 septembre 2012

Une leçon de vie au-delà de la mort.


Quelques heures au printemps, de Stéphane Brizé (2012).

            Il y a des films (ou des spectacles en général) d’où l’on sort avec le cœur lourd et dans un état de profond accablement, mais d’un accablement nécessaire parce qu’il est des fragments de vie (et de mort) dont il faut savoir être le témoin, presque en situation de voyeurisme, pour mieux les affronter soi-même le moment venu  --  et Stéphane Brizé nous en donne à voir quelques-uns, et non des moindres, dans son dernier film, Quelques heures de printemps.

16 septembre 2012

Sans loi ni grandeur.


Des Hommes sans loi (Lawless), de John Hillcoat (2012).

            Si de nombreux films ont été consacrés aux bootleggers, ceux qui faisaient le commerce de l’alcool illégal à l’époque de la prohibition, il y en a eu beaucoup moins en revanche pour s’intéresser aux bouilleurs de cru qui le fabriquaient  --  ceux que l’on appelait les moonshiners parce qu’ils profitaient de la nuit et du clair de lune pour exercer leurs coupables activités. Il n’y en a pas eu beaucoup non plus pour s’attacher à ces « pauvres blancs » des Appalaches, côté deep south, portant salopettes et feutres déformés, connus sous le nom de hillbillies  --  petites gens des collines, ombrageux et souvent ignorants, vivant en famille autour d’un alambic clandestin. Aussi, adaptant un roman de Matt Bondurant[1], John Hillcoat (cinéaste australien « récupéré » par Hollywood) et son scénariste et musicien Nick Cave abordent-ils ici des terres relativement vierges ou, à tout le moins, fort peu fréquentées  --  même sur le plan littéraire[2].

13 septembre 2012

Des qualités mais peut mieux faire.


Camille redouble, de Noémie Lvovsky (2012).

            Qui n’a jamais rêvé de revivre une partie de sa vie pour en corriger les défauts (ou ce que l’on croit tel) à l’aune de l’expérience acquise par la suite ? Tout en sachant qu’il suffit peut-être de modifier un élément de sa vie, aussi modeste soit-il, pour qu’elle s’en trouve toute entière changée. Je ne sais quel crédit il faut accorder au fameux « effet papillon » et la Camille de Noémie Lvovsky n’en a d’ailleurs cure puisque, à l’évidence, son retour vers le passé ne changera rien à un futur qui se conjugue en fait au présent. Peut-être cependant la cinéaste aurait-elle dû rendre au passage à Coppola ce qui lui revient de droit tant il est difficile de ne pas penser à tout ce que cette Camille de 2012 doit à sa Peggy Sue de 1986 (Peggy Sue s’est mariée/Peggy Sue Got Married).

12 septembre 2012

Billy Wilder confirme son génie.


Stalag 17, de Billy Wilder (1953).

            C’est une excellente idée qu’a eue la Cinémathèque de proposer, en marge de la rétrospective Preminger, une projection du Stalag 17 de Billy Wilder  --  proposition d’autant plus pertinente que le cher Otto y interprète d’une façon particulièrement remarquable un rôle d’officier nazi d’une suffisance sadique dont il semble se régaler. Quant au film lui-même, s’il n’est pas inaccessible, très loin de là (on le trouve aisément en DVD), il n’est pas de toutes les œuvres de Wilder la plus connue ni celle que l’on considère avec le plus d’attention. Un observateur mal informé et abusé par un titre certes justifié mais qui ne rend qu’imparfaitement compte de son sujet pourrait en effet s’attendre à un de ces récits d’aventures dont un John Sturges fera plus tard ses choux gras (The Great Escape/La Grande évasion, 1963)  --  William Holden frayant en quelque sorte la voie à Steve McQueen. Il serait en fait bien loin du compte.

10 septembre 2012

Pignon fixe et pas de freins.


Premium Rush, de David Koepp (2012).

            On doit à David Koepp l’écriture des scénarios de quelques mémorables blockbusters relevant peu ou prou de l’étrange, du fantastique voire de la science-fiction, pour Steven Spielberg (Jurassic Park, 1993, et La Guerre des mondes/War of the Worlds, 2005, entre autres), Brian De Palma (de L’Impasse/Carlitto’s Way à Snake Eyes, 1998) ou David Fincher (Panic Room, 2002) et la réalisation d’une poignée de films de formats nettement plus modestes et pas désagréables à l’arrivée, illustrant tous ses genres favoris (Réactions en chaîne/The Trigger Effect, son coup d’essai en 1996, Hypnose/A Stir of Echoes, 1999, ou encore Fenêtre secrète/Secret Window, 2004) jusque dans leurs variations les plus comiques (Ghost Town/La Ville fantôme, 2008). Avec Premium Rush, son dernier opus, qui met en scène dans les rues de New-York les (més)aventures d’un coursier à bicyclette particulièrement véloce,  il abandonne son domaine de prédilection pour une manière de thriller urbain filmé quasiment en temps réel et sur un rythme trépidant  --  mais d’où l’étrange et le fantastique ne sont pas totalement absents tant ces personnages de coursiers, véritables kamikazes à deux roues, semblent évoluer dans un monde parallèle qui défie les lois de la gravitation.

8 septembre 2012

Une noirceur "couleur de néant".


Killer Joe, de William Friedkin (2011).

            William Friedkin est un cinéaste un peu à part dans le cinéma américain contemporain. Né en 1935, il n’appartient pas à la génération légèrement plus âgée  des réalisateurs venus de la télévision (même s’il y a fait ses premières armes), mais  pas non plus tout à fait à celle qui l’a suivie et qu’on appelle un peu fallacieusement le « Nouvel Hollywood ». Cinéaste inclassable et à la carrière atypique, il a connu une notoriété aussi brutale qu’éphémère avec French Connection  (The French Connection, 1971) et L’Exorciste (The Exorcist, 1973)[1], deux films aussi juteux financièrement que douteux cinématographiquement  --  L’Exorciste tout particulièrement. L’indiscutable savoir-faire du cinéaste s’y diluait dans un brio racoleur avec la volonté cyniquement affichée d’assommer le spectateur en lui en mettant plein la gueule. Mais le soufflé est vite retombé et Friedkin n’a ensuite guère cessé de décevoir  --  à l’exception de The Brinks Job (Têtes vides cherchent coffres pleins, 1978), pochade plaisante dans sa modestie même, et sans doute faudrait-il revoir Cruising (La Chasse, 1980) dont le sujet (un policier infiltre la communauté homosexuelle S.M. pour démasquer un criminel) lui valut un (relatif) succès de scandale. Mais, c’est bien connu, il ne faut jamais frapper un homme à terre, il peut toujours se relever, et il semble bien qu’aujourd’hui, à plus de soixante-dix ans, peut-être grâce à son compagnonnage avec le dramaturge Tracy Letts, il soit parvenu à se remettre en selle et à relancer sa carrière avec deux indiscutables réussites, Bug en 2006 et Killer Joe aujourd’hui.

7 septembre 2012

Du cinéma de papa?


Cherchez Hortense, de Pascal Bonitzer (2012).

            Qui a connu Pascal Bonitzer il y a une quarantaine d’années, à l’époque où il était « critique et théoricien de haut vol aux Cahiers du Cinéma »[1], revue qui mêlait alors, dans un indigeste salmigondis, sémiologie, psychanalyse, structuralisme, marxisme, maoïsme et quelques autres ismes que j’ai oubliés, époque aussi où il invitait un parterre d’étudiants vite découragés (j’en étais) à décortiquer plan par plan le Mabuse de Fritz Lang (qui n’en demandait pas tant) selon les différents préceptes théoriques évoqués plus haut ; qui a donc connu Pascal Bonitzer dans ces années-là peut légitimement s’étonner de le voir signer aujourd’hui un film tel que celui-ci. Le Bonitzer d’alors ne manquerait sans doute pas de considérer de haut le Bonitzer d’aujourd’hui et d’exécuter sommairement et avec mépris Cherchez Hortense, lui reprochant notamment d’appartenir à la frange la plus outrageusement bourgeoise et rétrograde d’un cinéma dit « de la qualité française » que les Cahiers stigmatisèrent cruellement en d’autres temps  --  Nouvelle Vague contre cinéma de papa, voire de grand-papa ; avant-garde éclairée contre arrière-garde obscurantiste. Il aurait cependant grand tort.